La semaine dernière, dans une interview pour Le Soir, je donnais ma position sur les recettes générées par la future « taxe GAFA » (Google, Apple, Facebook, Amazon, Netflix, Microsoft etc.) : elles doivent revenir aux Communautés pour soutenir les aides à la presse et améliorer l’éducation aux médias, des secteurs sous-financés depuis bien trop longtemps.
L’enjeu est le suivant. Il y a environ un mois, la Commission européenne dévoilait son projet de nouvelle taxe digitale à hauteur de 3% visant les entreprises qui réalisent plus de 750 millions de chiffres d’affaires et dont la part européenne est d’au moins 50 millions. Cette taxe vise principalement les GAFA qui profitent de la dématérialisation de leurs activités et de stratégies fiscales agressives, échappant de ce fait quasi totalement à l’impôt. Là où les entreprises belges s’acquittent en moyenne d’un impôt de 23%, les GAFA ne paient qu’environ 9%… Une différence énorme d’autant plus scandaleuse qu’à titre d’exemple, Alphabet, la maison mère de Google, a engrangé la modique somme de 7,7 milliards de bénéfices rien que pour le premier trimestre de cette année et que l’on sait par ailleurs que l’Europe reste le premier marché mondial pour ces technologies.
Mais dans ce dossier l’aspect fiscal n’est pas le seul enjeu en question, c’est aussi une importante question démocratique qui se joue. Nos médias locaux souffrent de nombreux maux à cause de cette concurrence étrangère : ils sont appauvris par la captation d’une importante part des revenus publicitaires par les GAFA ; leur indépendance est fragilisée ; ils se trouvent parfois obligés de se regrouper (ce qui nuit à la diversité de l’information) ; des tensions internes entre acteurs locaux (RTBF, TF1, RTL) voient le jour ; les éditeurs de presse se battent entre eux pour perdre le moins possible de revenus; les statuts précaires sont en hausse; etc. Un sondage mené fin 2016 par la Fédération européenne des journalistes auprès de ses organisations membres estime à seulement 34 sur une échelle de 100 le niveau de satisfaction professionnelle des journalistes. Ceux-ci sont souvent contraints de travailler dans de très mauvaises conditions en termes de protection sociale et d’horaires qui les cantonnent souvent à retransmettre des informations vues ailleurs sur Internet, sans avoir le temps de les vérifier ou de les mettre en perspective.
C’est pourquoi j’estime qu’une part significative des recettes générées par la taxe GAFA doit être consacrée aux secteurs des médias, de l’éducation ou encore de la culture qui connaissent de nombreuses difficultés financières alors qu’ils sont fondamentaux. Cette nouvelle rentrée financière doit revenir prioritairement aux Communautés qui disposent des compétences afin d’augmenter les aides à la presse et renforcer l’éducation aux médias, qui n’atteint pas aujourd’hui 2 millions d’euros au budget de la Fédération Wallonie-Bruxelles et qui est pourtant si importante pour lutter efficacement contre les obscurantismes, les fake-news et le rejet de l’autre.
J’ai interrogé dans ce sens le Ministre Jean-Claude Marcourt, Ministre des médias, afin de connaître sa position concernant cette taxe et les initiatives prises auprès du Fédéral au sujet de l’affectation des recettes qui seraient générées.
Celui-ci m’a répondu :« la France serait plutôt favorable à ce que l’ensemble de ces montants soit versés au financement du budget européen de l’Innovation et de l’Investissement, une sorte de compensation à la perte des budgets britanniques. Cette option n’emporte nécessairement pas ma faveur. Monsieur Doulkeridis, comme vous, j’estime que le secteur des médias, qui est directement concurrencé par les entreprises numériques sur le marché des revenus publicitaires, devrait percevoir une part significative des revenus perçus. Le but de la taxe doit être de promouvoir une concurrence équitable entre tous les opérateurs de marché. »
Il m’a également fait part de son intention d’interpeller le gouvernement fédéral pour apprécier sa position quant à l’affectation de ces recettes. Je ne manquerai donc pas d’interroger à nouveau le Ministre Marcourt dans les prochaines semaines à ce sujet.
Vous retrouverez ici l’intégralité de mon interview de ce lundi pour Le Soir ainsi que l’intégralité de mon échange avec le ministre Marcourt de ce 3 mai en cliquant sur ce lien à la page 15.