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Cet article est un espoir. Il est à lire au deuxième degré. L’explication se trouve ici.

C’est une intervention qui a échappé à la plupart des observateurs, mais au lendemain des déclarations de l’Ambassadrice des Etats-Unis qui encourageait la Belgique à investir davantage dans son armée, Monsieur Melinos Merkouris, Ambassadeur de Grèce auprès de la Belgique et de l’Union européenne était invité à Bruxelles à une conférence consacrée à l’utilisation la plus rationnelle des moyens publics pour construire la paix, la prospérité et le bien-être en Europe. Lors d’une intervention attendue compte tenu du contexte économique dans lequel se trouve son pays et du fait que la Grèce est l’un des pays européens qui consacre la plus grande part de son PIB à son armée, l’Ambassadeur a surpris son auditoire. Alors que dans les couloirs chacun s’attendait à ce que le représentant grec en profite pour re-légitimer les budgets affectés par son gouvernement dans l’armée après les critiques acerbes reçues ces dernières années par les autorités européennes, Monsieur Merkouris a pris l’assemblée à contre-pied.

« Mon pays est sans doute le meilleur élève de la classe européenne sur le plan des investissements publics dédiés à sa sécurité militaire. Nous avons consacré de manière annuelle plus de 2 % de notre PIB (2,4% en 2015) à acheter des armes, des chars, des avions, des navires militaires. Tout ça pour quoi ? Regardez dans quel état se trouve aujourd’hui notre pays. A-t-il pour autant été récompensé par ces pays à qui il a acheté ces armes ? Bénéficie-t-il d’une sécurité plus importante ? Son économie se porte-t-elle mieux ? Comme je suis diplomate, je me contenterai de dire poliment que je pense que non. Regardez les discours de haine, les replis frileux, le racisme banalisé soutenus non seulement par des citoyens européens mais aussi par des responsables politiques au plus haut niveau. 

Ce dont nous avons le plus besoin aujourd’hui c’est d’investir davantage dans la Culture. Cet antidote à la violence qui nous invite à la compréhension d’autrui et féconde la tolérance, en nous incitant à partir à la rencontre d’autres imaginaires et d’autres cultures. Ce dont nous avons le plus besoin aujourd’hui c’est de stimuler notre créativité, notre humour, nos doutes, nos remises en question, nos enthousiasmes, nos recherches de sens. C’est là qu’excelle la culture. Jamais aucun char, aucun avion de chasse, aucune arme n’est parvenue à le faire. 

A l’heure où certains demandent à la Belgique d’investir davantage dans son armée, je constate que ce même pays diminue à tous les niveaux de pouvoir les budgets consacrés à la culture. Ses théâtres, ses artistes, ses bibliothèques, ses centres de créativité, ses centres culturels doivent travailler avec des moyens réduits en cascade par chaque acteur public. Et pourtant, il n’y a pas un seul jour qui échappe à une nouvelle alerte sur le plan des valeurs du vivre ensemble. 

Je suis conscient que mon pays n’a sans doute pas la légitimité pour se placer dans le rôle du donneur de leçon. Je ne sais d’ailleurs pas si un seul pays au monde n’a suffisamment de légitimité pour le faire. Mais si vous me demandiez sur base de notre expérience de ces dernières années de crise, des années d’opulence obscène qui les ont précédées, de celles où nous avons connu la dictature, la guerre, la pauvreté, l’exil, l’occupation, la conquête, bref sur base de notre histoire bimillénaire, je vous dirais qu’il y a un investissement qui est le plus sûr et le plus rentable, c’est celui qui est consacré à la culture. »

Bruxelles / 1-10-2015 / ChD