Article dans La Libre Belgique du 25 novembre 2009 rédigé par la journaliste Charlotte Mikolajczak

Un contrat d’occupation temporaire a été signé fin octobre entre des squatters et un promoteur privé. De quoi donner des idées à d’autres ?

A Bruxelles comme ailleurs, mais à Bruxelles surtout, les problèmes de logement sont dramatiques et les exemples de sans-abri investissant de force des immeubles vides sont de plus en plus courants. Sauf erreur de jugement, leurs cibles sont des bâtiments appartenant aux pouvoirs publics. Le droit au logement social n’est-il pas de leur responsabilité ?

Une de ces rares « erreurs » – l’occupation, place Morichar à Bruxelles (voir ci-contre), d’un bâtiment anciennement loué par le ministère des Finances mais appartenant à un privé – a donné lieu à diverses péripéties qui, à l’instigation de Christos Doulkeridis, secrétaire d’Etat bruxellois au Logement, se sont conclues sur l’occupation tout à fait légale d’un immeuble de bureaux vide localisé rue de Stassart, derrière la Toison d’Or. L’originalité, c’est que cet immeuble appartient non à un pouvoir public, mais à un promoteur privé.

Certes, Besix Real Estate Development a accédé à cette demande parce qu’elle était émise dans l’urgence et qu’il avait précisément une solution. Et certes, l’occupation est de courte durée (trois mois). Mais ce contrat est quand même une première, qui pourrait peut-être donner lieu à d’autres exemples, voire à une mise en musique plus légale.

« Nous ne l’avons pas fait pour être les premiers, explique Denis Albertyn, directeur du développement de Besix RED . Mais parce que le cas s’est posé. Le bâtiment a obtenu ses permis d’urbanisme. Les travaux lourds vont débuter. Mais entre-temps, puisqu’il était habitable, pourquoi ne pas l’habiter ? » C’était d’ailleurs le seul immeuble de leur portefeuille qui pouvait convenir en termes d’habitabilité et du fait que quasiment rien de l’intérieur ne sera conservé.

La convention qui lie Besix RED aux sans-abri – ou plus précisément à l’Union des locataires marolienne (ULM), l’ASBL qui les représente – est assez simple, chacun devant respecter les impératifs de l’autre : une date de sortie ferme ; pas de loyer ; les occupants payent leurs consommations (chauffage, eau, électricité) ; le propriétaire supporte les taxes et autres charges. « Comme on aurait dû les supporter si l’immeuble n’était pas occupé, ajoute Denis Albertyn. Sauf si l’occupation dépasse le 1er janvier, qui sonne l’enrôlement des taxes ; ou si, suite à cette occupation, nous n’étions pas en mesure de démarrer le chantier. » Non sans juger qu’un encadrement juridique plus clair serait souhaitable et que les pouvoirs publics auraient pu – à tout le moins pourraient dans le futur – aussi faire des efforts de leur côté. « Comme de suspendre certaines taxes quand on est dans une problématique sociale. »

Bien que l’occupation ne soit pas évidente, les choses se passent bien rue de Stassart. Notamment parce que Besix RED a, face à lui, des interlocuteurs fiables. Qui ne chantent pas victoire. « C’est une victoire toute relative car ce n’est que pour trois mois, indique Emmanuelle Rabouin, coordinatrice de l’ULM. Et c’eut été mieux si le propriétaire avait accepté de signer la convention directement avec les occupants, l’ULM servant de garant moral et d’accompagnant. Ceci afin de responsabiliser, d’impliquer les occupants. Mais c’est positif et on espère que cela se reproduira. »

« C’est une première expérience, confirme Christos Doulkeridis. Pas tout à fait concluante, notamment en ce qui concerne la durée, trop courte, mais exemplative. » Elle donnera en tous les cas lieu à des réflexions afin d’être réitérée dans de bonnes conditions, hors urgence. « L’important est de sortir de l’engrenage d’occupation en force et d’expulsion violente. » Dans son budget 2010 – qu’il présentait précisément hier (24/11/09) au Parlement bruxellois – il est prévu d’étudier ce mécanisme. « La SLRB (Société du logement de la Région) a mis sur pied un groupe de travail pour s’occuper de cette occupation temporaire » , poursuit-il. Entre autres impératifs, il pointe un minimum de délais et des conditions strictes de sortie. « Il faut des engagements clairs. » Mais aussi que les pouvoirs locaux comprennent le sens de cette occupation. « C’est-à-dire qu’ils n’exigent pas, par exemple, de taxes comme si les lieux étaient loués comme bureaux. »

« Mais cela doit rester une exception, conclut Christos Doulkeridis. Ce n’est pas une solution miracle aux problèmes de logements à Bruxelles. Il ne faut pas se tromper de cible. Pas question que les pouvoirs publics se dessaisissent de leurs responsabilités. » Pour l’heure, l’ULM a lancé sa prospection pour trouver un autre immeuble vide pour janvier. Qu’il soit public ou privé importe peu.
Lire aussi l’article de La Libre Belgique paru le même jour :

« Une première dans le privé, mais dans un cadre légal existant, déjà utilisé entre squatteurs et pouvoirs publics »

Les propriétaires ont certains avantages à faire occuper leurs immeubles vides, le temps d’obtenir leur permis d’urbanisme ou entre leur obtention et le début des travaux.

Une nouvelle vie, même éphémère, pour les immeubles de bureaux ? L’avis de Nicolas Bernard, professeur de droit aux Facultés Saint-Louis et conseiller au cabinet du secrétaire d’Etat au logement, Christos Doulkeridis.

Un contrat d’occupation précaire de bureaux entre des sans-abri et un promoteur privé. C’est original…

Oui et non. Oui, parce que pour la première fois, ce type de convention lie une association de défense du droit au logement à un propriétaire privé. C’est bien que les privés prennent aussi conscience du problème de logement. Voire montrent l’exemple. Notamment… à la Régie des bâtiments qui a récemment procédé à l’expulsion de sans-abri en disant qu’il y avait des logements sociaux vides.

Les privés tirent aussi quelques avantages de cette mise à disposition. Un, rien ne se dégrade plus vite qu’un immeuble inoccupé (ne fût-ce que parce qu’on vient y prendre les radiateurs en fonte, les châssis ). Deux, si un loyer est payé, un bien qui était improductif peut générer une petite rentrée. Trois, les squatters permettent d’éluder la taxe sur les immeubles vides.

Mais non, ce n’est pas original, parce que ce contrat d’occupation précaire existe dans notre droit depuis longtemps et est finalement assez bien répandu, entre autres dans le cadre de maisons d’accueil pour sans-abri. Les pouvoirs publics ont compris depuis un bon bout de temps les avantages de légaliser ce type d’occupation. A Bruxelles, il y a le cas du 123 de la rue Royale qui appartient à la Région wallonne et qui est légalement squatté depuis deux ans. Cela permet de pérenniser l’occupation avec partage des charges Ce n’est plus un squat, c’est une relation contractuelle qui n’a pas la forme classique du bail de résidence principale ; même si un loyer est parfois perçu.

Mais le premier mouvement de balancier est venu des squatteurs qui ont ciblé les pouvoirs publics. C’est un peu par hasard qu’ils ont investi des propriétés privées.

Oui, avant ils partaient d’une logique qu’il valait mieux investir des biens publics, car le droit au logement pèse plus sur le public que sur le privé. Il y a deux types de squat : le squat d’urgence, coup-de-poing, et le squat sur le long terme, en tissant des relations avec le propriétaire. Même si la première sensibilise plus les citoyens, la seconde est plus pérenne.

Ou définitive ?

Jamais ce type d’occupation ne répondra aux conditions du Code du logement. On ne peut la concevoir comme définitive. C’est une mise à disposition. Il y a peu de règles. On se situe dans une zone grise peu confortable.

Peut-on imaginer d’autres contrats de ce type avec des privés ?

Oui, mais l’important est d’aller au-delà du coup par coup. Il existe une pléthore d’instruments légaux pour réoccuper des espaces vides, sans parler de ceux qui pénalisent le propriétaire d’un bien vide. Même si cela sort du cadre des bureaux vides, on pourrait par exemple imaginer un partenariat public/associatif pour mettre sur pied des expériences d’autorénovation de logements sociaux vides. Il y en a plus de 2 000 en Région de Bruxelles-Capitale, dont certains sans projet immédiat de rénovation.