Article paru le 10 avril 2010 dans Essentielle Immo (La Libre Belgique) rédigé par Thierry Laffineur :

Alors que chacun s’accorde sur l’importance de l’évolution démographique de Bruxelles au cours de la prochaine décennie (+/- 170.000 nouveaux habitants) autant que sur le manque et les difficultés d’accéder à la propriété de logements moyens, la présente table ronde s’interroge sur les perspectives de développement de ce segment immobilier résidentiel en réunissant : Christos DOULKERIDIS, Secrétaire d’Etat de la Région de Bruxelles en charge du Logement / Jean CORMAN – Adm. Dél. – Victoire Consulting / Xavier MERTENS – Adm. Dél. – Home Invest Belgium / Pascal LASSERRE – Adm. Dél. – Lasserre & Associés / Serge FRAEIJS DE VEUBEKE – Adm. Dél. – CIG / Luc WILLAME – Président – SDRB.


Vidéo de la table ronde Essentielle Immo
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Comment définir aujourd’hui un logement moyen, à quelle population s’adresse-t-il et, au vu du futur accroissement démographique, comment en quantifier les besoins ?

S. Fraeijs : Le logement moyen neuf peut se définir selon deux critères :
- un prix : entre 180.000 et 210.000 € hors frais d’achat ;
- une superficie brute : entre 85 et 95 m². Toutes proportions et nouvelles exigences énergétiques gardées, ce sont des logements répondant du concept autrefois développé par des entreprises telles Amelinckx ou Etrimo, qui permettent de réaliser des économies d’échelle lors de leur construction.

DEFI A 10 ANS : 200.000 HABITANTS et 70.000 NOUVEAUX LOGEMENTS

C. Doulkeridis : Précisons d’abord que le chiffre de l’accroissement de la population bruxelloise (170.000 habitants sur 10 ans) se fait sur 3 critères. Deux sont positifs :

- une forte natalité (principalement dans les communes de la première couronne) ;

- un flux de population étrangère.
Le troisième critère, il concerne le flux intra régional, est quant à lui déficitaire. Or, si ce troisième critère reste en l’état, faute d’une stratégie politique de la Région, nous risquons un déséquilibre socio-économique et budgétaire, conséquence de l’absence d’une population à revenus moyens dans la Région. Cela signifie qu’un juste équilibre des 3 critères devrait soit redistribuer le poids relatif de chaque critère soit faire passer l’accroissement démographique de la période considérée non pas à 170.000 mais bien à 200.000 habitants. Dans ces conditions, la pression sur les besoins en logements s’accroîtra dans les mêmes proportions, sachant que :

- la taille du ménage bruxellois est, en moyenne, de l’ordre de 2 personnes ;

- le renouvellement du parc obsolète est une nécessité ;

- 50.000 demandes sont aujourd’hui déjà sur liste d’attente d’un logement public (logement social, Agence Immobilière Sociale = AIS, SDRB.)

L. Willame : Mis en perspective avec les besoins de logements, cet accroissement démographique signifie de mettre sur le marché +/- 100.000 nouveaux habitats endéans la prochaine décennie.

X. Mertens : Relativisons, on peut considérer qu’un habitat héberge 3 personnes et ramène donc le besoin réel de nouveaux logements à +/- 70.000 unités. Cela signifie toutefois un doublement de la production actuelle (soit 7.000 unités/an contre +/- 3.500 aujourd’hui). Ce chiffre ne pourra être atteint sans la prise de mesures économiques favorables aux logements moyens ni sans une réflexion quant à la réduction de leurs superficies.

J. Corman : Paradoxe, il existe actuellement des contraintes de superficies (réduire les surfaces au profit de la qualité de l’équipement) dans les logements haut de gamme (> 3.500 €/m²) qui n’existent pas dans les logements sociaux !

AVOIR LES MOYENS MAIS PAS LE MARCHE

S. Fraeijs : Nous avons les moyens – physiques et intellectuels – de construire 7.000 nouveaux logements/an à Bruxelles. Le véritable problème est ailleurs. Les ménages disposant d’un revenu moyen (+/- 3.200 €/mois) constituent l’essentiel du marché. Or, ces ménages – ils se situent au-delà des conditions d’accès à un logement social ou subventionné – sont aujourd’hui dans l’incapacité d’acquérir une habitation à Bruxelles faute d’une offre immobilière conséquente dans une fourchette de prix comprise entre 180.000 et 210.000 €.

L. Willame : Pour concrétiser cette offre, et selon une vision idéale, le marché bruxellois devrait répondre à deux conditions :
- ne dépendre que d’un seul ministre du logement pour la Région !
- s’inscrire dans un continuum qui mettrait à disposition des logements répertoriés dans le social-locatif, le social-acquisitif, le moyen acquisitif, le libre et dont l’acquisition serait adaptée à chaque type de clientèle.

C. Doulkeridis : Je partage ce point de vue et insiste sur un autre aspect, celui de la reconversion d’immeubles tertiaires obsolètes : actuellement 200.000 m² de ce type peuvent être rapidement reconvertis. Sur les 4.000 logements neufs réalisés en 2009, 25% sont le fait de telles opérations. Par ailleurs, il m’apparaît que quel que soit l’acteur qui construit (public ou privé) et le type de logement produit, il faut se retrouver sur les notions de :
- coopération entre les constructeurs ;
- quartiers mixtes (type de logements différents) et multifonctionnels (type d’activités différentes).

CONSENTIR UN MANQUE A GAGNER

S. Fraeijs : Je doute de la faisabilité de la coopération que vous évoquez et préfère laisser au public son rôle (construire du logement subventionné). Ma question sera plus directe. Face aux difficultés d’accéder à la propriété d’un logement moyen, quels incitants peut-on escompter de la part des pouvoirs publics. Je précise qu’il ne s’agit pas du principe des primes (= être remboursé d’un investissement) mais de s’inscrire dans un schéma par lequel les autorités publiques consentiraient un ‘manque à gagner’ par un abattement sur les frais d’enregistrement, une TVA à 6%, etc., à savoir un ensemble de mesures qui rendrait alors le logement moyen accessible à une majorité.

C. Doulkeridis : L’essentiel des abattements fiscaux relève du Fédéral. Cela posé je précise toutefois que la Région intervient également à plusieurs niveaux :
- abattement pour le droit d’enregistrement pour les propriétaires occupants ;
- attribution des prêts sociaux via le Fonds du logement. Ils permettent à +/- 1.000 ménages d’accéder annuellement à la propriété ;
- production de logements publics via notamment la SDRB.

S. Fraeijs : La SDRB est aujourd’hui confrontée au même problème de vente de ses logements faute de moyens financiers des candidats acquéreurs. Sur les 589 logements qu’elle a produits en 2009, seuls 263 ont été vendus ! Le problème de l’incitant financier demeure.

PRINCIPE DE PORTABILITE ET LOCATION-ACHAT

P. Lasserre : Nous constatons que les candidats acquéreurs sont de plus en plus jeunes. Pour les garder dans la Région, il conviendrait d’opérer selon deux axes :
- agir sur les prêts et financements ;
- aider les (jeunes) ménages à passer d’un type de bien à un autre ; Or le principe de la vente/rachat d’un bien est financièrement lourd. Lorsque la plus-value du marché immobilier est importante ces frais sont absorbés et ne sont pas rédhibitoires. Lorsque la plus-value n’est pas au rendez-vous, ces mêmes frais incitent à ‘aller voir sous d’autres cieux’ et donc à quitter la Région pour trouver des biens moins onéreux. Il conviendrait donc sans doute d’agir sur la portabilité des droits d’enregistrement (= ne payer qu’une seule fois) et, d’autre part mais selon le même principe, sur la souplesse des formules de crédits et la cohérence de leur attribution.

L. Willame : Au-delà du subside que nous accordons aux acquéreurs de nos logements et dont le montant (30%) me paraît énorme, notre souhait serait de disposer d’une offre élargie des outils publics. On pourrait ainsi considérer une réduction du subside (p.ex. : 15%) mais obtenir, en contrepartie, une plus grande flexibilité dans l’attribution de prêts par le Fonds du logement. Dans cette optique, nous étudions actuellement la faisabilité de la location-achat par laquelle on constitue une épargne immobilière, via une partie du loyer durant 9 ans, et passe en mode acquisitif au-delà de ce terme.

X. Mertens : Nous sommes effectivement très (trop) focalisés sur le mode acquisitif. Pour permettre à une population ‘moyenne’ importante de demeurer à Bruxelles, les solutions locatives, déclinées selon différentes formules, méritent d’être prises en considération.

DES PISTES RENTABLES ?

C. Doulkeridis : Au vu du défi ‘logement’ qui nous attend, nous devons effectivement nous inscrire dans une réponse globale. Or, le public ni le privé seuls ne solutionneront le problème. De même, le mode acquisitif ne constitue pas l’unique solution au problème. Par ailleurs, il existe des pistes plus créatives telles que les habitations modulaires et la co-location qui peuvent aussi répondre à une partie de la demande.

S. Fraeijs : Toutes ces solutions sont effectivement envisageables et méritent considération. Toutefois même en réduisant leurs marges, quels investisseurs/promoteurs s’y risqueront sans la garantie d’une rentabilité minimale, peu probable sans incitants financiers des pouvoirs publics ?

X. Mertens : Pour étudier actuellement le problème avec une AIS, ce type d’opération est faisable mais très difficile. En effet, même assortie d’une garantie locative et d’autres avantages fiscaux, la rentabilité doit être envisagée de 2 manières :
- la rentabilité apparente (= rendement sur loyer) ;
- la rentabilité nette (à terme). A ce jour nous ne pouvons encore l’estimer.

C. Doulkeridis : Dans le cas d’une AIS, je considère que l’absence de vide locatif garantie par les instances publiques ainsi que des incitants (réduction du précompte, primes et aides diverses) constituent des éléments favorables aux développeurs.

S. Fraeijs : Je vous suis sur ce point mais encore une fois cela ne répond pas aux besoins du logement moyen qui ne bénéficiera plus d’abattements (sur l’enregistrement et la TVA) à partir du 31 mars. Pour l’acquéreur cela représente un (sur)coût de +/- 7.500 €.

L. Willame : Dans le même ordre d’idée, pourquoi le logement moyen que nous produisons (mais qui s’inscrit dans les conditions d’acquisition du logement social) est-il soumis à une TVA de 21% alors que ce taux n’est que de 6% dans les 2 autres régions. Un gain de 15% faciliterait grandement l’accès à la propriété.

C. Doulkeridis : La Région dégage tous les ans des moyens au profit du logement et continuera de le faire en 2010. Ce que vous évoquez relève du Fédéral. Or il faut savoir que Bruxelles compte moins de propriétaires-occupants (+/- 50%) que les autres régions ( >75%). En conséquence l’argent dépensé par le Fédéral (déductibilité fiscale pour faciliter le passage au statut de propriétaire-occupant) bénéficie moins à la Région bruxelloise. C’est une difficulté réelle qui pourrait encore s’accroître si le Fédéral poursuit sa stratégie d’une réduction budgétaire à l’égard de Bruxelles.

S. Fraeijs : Si la Région ne peut compenser ce déficit d’aide à l’achat du Fédéral, cela signifie que le privé seul devra alors porter la charge du développement de l’immobilier moyen !

J. Corman : La Région ne peut-elle jouer sur ses réserves foncières ?

APPEL A PROJET ET PLAN REGIONAL DE DEVELOPPEMENT DURABLE

Le principe de ‘l’appel à projet’ lancé à l’occasion du récent MIPIM n’est-il pas l’esquisse d’une solution foncière ou pour le moins d’une nouvelle forme de PPP (Partenariat Public Privé) ?

L. Willame : En théorie nous sommes favorables au PPP, en pratique toutefois sa mise en œuvre est devenue très difficile (contraintes en termes de marché public). Cela étant l’appel à projet est effectivement une manière de modifier la structure du partenariat entre privé et public et d’élargir notre zone d’activité en acquérant des réserves foncières. Concrètement, et pour autant qu’un projet initié par un promoteur privé s’inscrive dans les conditions prescrites (notamment en termes de constructions passives et/ou à basse énergie), celui-ci pourra bénéficier pour partie (50% pour les grands projets et 75% pour les petits) des subsides de la SDRB (les subsides sont accordés à l’acquéreur et non au promoteur). Les effets escomptés visent principalement à : développer des projets qualitatifs au sein des 19 communes ; créer un nouvel équilibre avec le marché immobilier privé (réduction du risque financier du promoteur) ; inciter aux investissements immobiliers multifonctionnels (diversité des fonctions) et mixtes (diversité des types d’habitats) dans tous les quartiers afin d’en faire aussi des quartiers multifonctionnels ‘durables’.

C. Doulkeridis : Parallèlement à cette initiative j’insiste sur 2 points :
- l’intérêt de la reconversion des bureaux obsolètes dans une Région où le foncier est limité. Si sur ces sites existants on parvient à développer des programmes mixtes (dans les fonctions et les revenus) alors on fera d’une pierre deux coups : on supprimera des chancres en développant du logement ;
- le prochain Plan Régional de Développement Durable : il dressera les priorités urbanistiques en abordant tous les aspects de l’évolution démographique. Outre le logement cette évolution suppose en effet la construction de crèches, d’écoles, de voiries, d’équipements collectifs, etc., pour lesquels nous aurons besoin d’espaces. Le PRDD sera donc l’occasion de rassembler tous les acteurs de la ville sur base de priorités définies ensemble.

S. Fraeijs : J’insisterai encore sur un facteur d’économies potentielles en matière de production de logements. Il conviendrait en effet de réduire les délais de procédures d’attribution des permis qui se voient quasi systématiquement allongés par les enquêtes publiques communales. Or une optimisation des procédures aurait une incidence financière non négligeable puisqu’elle permettrait d’accélérer le processus de production de logements, de fournir plus rapidement le bien au client, de limiter les intérêts intercalaires, etc.