nous1Je pense que nous avons besoin de beaucoup d’humilité pour aborder ces questions car nous avons une responsabilité en tant que classe politique. Ainsi, nos législations sur le droit de vote des personnes immigrées, la naturalisation, les lois contre le racisme, les politiques d’égalité par rapport aux personnes quelle que soit leur orientation sexuelle ont été souvent beaucoup plus loin que celles d’autres pays européens. Malgré cela, nous nous retrouvons dans une situation totalement paradoxale puisque le racisme ordinaire, l’antisémitisme, l’islamophobie et l’antiféminisme prennent dans notre pays des proportions que ma génération n’a pas connues. Nous devons prendre le temps d’analyser ce paradoxe. Je me réjouis de la création d’un plan de « déradicalisation », avec toute une série de mesures. Mais ce serait une erreur de croire que cela ne concerne que nos jeunes. Il suffit de consulter Facebook. Ce ne sont pas les jeunes qui disent le plus d’inepties sur les femmes, les immigrés, les Belges, les juifs, les Arabes, les noirs, etc. Les adultes doivent surveiller l’image qu’ils renvoient avant de dénoncer ce qui se passe dans une partie de notre jeunesse. On croit parfois que ces actes haineux sont réservés à certaines catégories sociales. Ce n’est pas le cas. Ce sont des intellectuels qui, en s’exprimant ou en écrivant des livres, contribuent aussi à attiser la haine et la stigmatisation d’une partie de la population. Malheureusement, ces caricatures sont multilatérales. S’il est vrai que nous avons pour tradition de soutenir les mouvements antiracistes depuis de nombreuses années – je suis heureux d’être un enfant de l’immigration et de pouvoir le dire moi-même –, nous avons peut-être oublié que la haine de l’autre est multilatérale. Ce n’est pas parce qu’on est victime de racisme que l’on ne peut pas être auteur de propos ou d’actes racistes. Nous devons toucher tous les publics, sensibiliser tout le monde. Nous sommes fiers de parler d’interculturalité dans nos villes, dans notre pays. Mais on entend malheureusement souvent dire « il y a des gens avec qui on ne peut pas vivre ». Voilà le véritable échec auquel nous sommes confrontés et contre lequel nous devons lutter. Ce contexte ne doit-il pas nous amener à remettre en question les dispositifs que nous avons mis en place ? Je pense que nous devons prendre le temps d’y réfléchir avec les différents acteurs qui font un travail remarquable. Nous devons penser à une nouvelle manière de relever ces défis, qu’il s’agisse du racisme, de l’égalité des hommes et des femmes, de l’antisémitisme, de l’islamophobie, etc. Comment faire pour que les dispositifs mis en place ne touchent pas que celles et ceux qui sont déjà convaincus?

Pour s’attaquer à ce problème, il faut aussi inverser les choses, se demander ce que nous faisons pour construire le « nous ». Comment pouvons-nous, chacun avec nos différences, mettre davantage en avant ce qui nous rassemble plutôt que ce qui nous différencie? Je suis bruxellois mais la réalité est la même en Wallonie ou dans d’autres régions. Nous vivons avec des personnes qui partagent beaucoup plus rarement qu’avant le même passé. Cela crée inévitablement des difficultés parce que chacun arrive avec son bagage. Mais ce qui nous rassemble, c’est ce destin commun : vivre ensemble au même endroit et construire tous ensemble notre avenir.

Compte tenu des compétences de la Fédération Wallonie-Bruxelles, notre énergie doit être centrée sur cet objectif, nous devons avant tout construire un « nous », dans l’enseignement (Barbara Trachte en a parlé) mais aussi dans les médias. L’image globale reflétée dans les médias est importante. Des baromètres de la diversité sont organisés par le CSA. Leurs conclusions sont catastrophiques. Comment ce public peut-il s’identifier à l’image que nos médias donnent de leur identité? Comment les jeunes sont-ils vus? Comment les femmes sont-elles perçues? Comment les personnes d’origine étrangère sont-elles représentées? Si nous ne prenons pas de mesures pour corriger cette image, il ne faudra pas s’étonner qu’une partie du public ne se retrouve pas. Comment ne pas se décourager, comment se projeter dans un « nous » collectif, lorsqu’on ne se retrouve plus dans l’image du groupe minoritaire auquel on pense appartenir, ou espérer trouver un emploi comme les autres? Vous connaissez la situation. Je voudrais vous encourager à faire de ces baromètres sur la diversité une de vos priorités. Vous devez vous fixer des objectifs à atteindre. Vous devez tout faire pour améliorer la situation, petit à petit, compte tenu de nos compétences qui ne visent pas l’action directe mais les moyen et long termes.

Je conclurai sur un élément essentiel : le budget. Je ne pense pas particulièrement à un secteur qu’il faudrait privilégier dans le cadre de la prévention ou de la lutte contre la radicalisation. Non. Je pense à tous les secteurs. Prenons la culture. Une soirée d’inauguration comme celle qui s’est déroulée à l’occasion de Mons 2015, où tout le monde est dehors, des Montois et d’autres, pour profiter du territoire, de la ville ou de sa région, est mille fois plus efficace pour renforcer le « nous » que d’autres mesures plus académiques. C’est la raison pour laquelle il est extrêmement important de continuer à investir massivement dans tout ce qui nous rassemble, comme la culture et qui nous permet de dépasser les replis identitaires et communautaires.