Notre pays traverse, vous le savez bien, de sérieuses difficultés politiques, mais j’aimerais rappeler que les difficultés et les crises sont aussi des occasions de rebondir et de se ressaisir. La division dans les esprits n’est pas une fatalité. C’est l’union et la tolérance dans le respect de l’identité de chaque entité fédérée qui représentent la seule voie possible dans notre société démocratique. Nous devons inventer de nouvelles formes de vivre ensemble dans notre pays.
Néanmoins, je ne voudrais pas m’étendre davantage sur nos difficultés institutionnelles présentes, mais évoquer certains thèmes qui tenaient tellement à cœur au Roi Baudouin, et voir avec vous comment ils ont évolué ces 15 dernières années, et ce qu’il faut encore réaliser.
Mon frère était profondément attaché aux valeurs de base de notre société, en particulier à la justice, la solidarité avec les plus faibles, et le respect de chaque personne.
Il était notamment préoccupé par la pauvreté. Celle-ci a pris de nouvelles formes et touche davantage de jeunes et de familles monoparentales. Elle reste aussi répandue parmi les personnes âgées. Une étude du Service Fédéral économie montre qu’en Belgique une personne sur 7, soit 14, 7 % de la population, peut être considérée comme pauvre.
Concrètement cela signifie qu’environ un million cinq cent mille personnes vivent chez nous dans la pauvreté. Cela concerne des personnes seules avec un revenu de moins de 860 euros par mois, et des familles de 2 adultes et 2 enfants avec un revenu mensuel de moins de 1.805 euros. Ce pourcentage est plus élevé que dans nos pays voisins, et nos efforts pour le réduire significativement doivent se poursuivre avec ténacité. En effet, ne faisons-nous pas partie des pays les plus prospères de la planète ? Les causes de pauvreté sont multiples, mais l’enseignement, la formation professionnelle, l’emploi et le logement social sont des instruments privilégiés pour la combattre.
Par ailleurs, certains délits graves restent hélas d’actualité. Ainsi, la traite des êtres humains qui frappe durement les personnes les plus fragiles ne régresse pas, malgré nos dispositions légales.
Comme le montre une récente étude du Centre pour l’égalité des chances, les formes que prend cette traite changent, se diversifient, et les victimes sont, pour une part, originaires de pays différents. Si le phénomène est peut-être moins visible, le combattre devrait à nouveau devenir une priorité.
D’autres grandes souffrances, dont on parle trop peu, touchent des jeunes vulnérables. Il y a d’abord la violence contre eux-mêmes. Dans notre pays le nombre de suicides chez les jeunes demeure élevé. Une politique de prévention et d’écoute de jeunes en difficulté devrait être stimulée.
De récentes données de centres de prévention dans notre pays montrent qu’un « teenager » sur 10 s’est déjà mutilé ou a essayé de se suicider. En outre, la violence de jeunes à l’endroit d’autres personnes s’est également accrue et traduit un mal vivre dans une partie de notre société. Là aussi une politique de prévention, centrée sur le respect de l’autre, doit être renforcée. Mais il va de soi que les Autorités feront leur travail lorsque, malgré tout, la violence se manifeste effectivement, et un accompagnement adéquat de ces jeunes sera assuré.
Par ailleurs, le Roi Baudouin était un avocat vigoureux de l’unité et de la cohésion du pays, dans le respect de sa diversité. Il était convaincu que le caractère multiculturel de notre pays est une richesse et un atout.
Dans son dernier discours de juillet 1993, il préconisait, et je cite : « un esprit de conciliation, de bonne volonté, de tolérance et de civisme fédéral. » Il poursuivait en demandant, et je cite encore : « que nous puissions unir nos efforts pour faire face ensemble à d’autres défis auxquels nous sommes confrontés. Parmi eux, je pense surtout à l’emploi, à la sécurité, à l’enseignement et à la construction européenne. » Fin de citation.
Ces propos restent évidemment d’une grande actualité, et j’invite chacun à les méditer en cette année européenne du dialogue interculturel.
Enfin, mon frère était aussi très préoccupé de voir le fossé entre les pays riches et les pays pauvres s’accroître. Est-il besoin de rappeler qu’à ce jour encore, moins de 20 % de la population de notre terre bénéficie de plus de 80 % du revenu mondial. Le partage équitable est un devoir de solidarité que nous devons poursuivre et renforcer.
L’évolution climatique, dont l’hémisphère nord est en grande partie responsable, renforce encore ces inégalités, et la crise alimentaire mondiale accentue les difficultés de nombreux pays.
La situation en Afrique, et en particulier en Afrique centrale, doit continuer à nous mobiliser. Nous ne pouvons être indifférents aux drames humains qui s’y propagent, et spécialement aux tragédies innombrables dont les femmes et les jeunes filles sont les victimes.
Pour terminer, j’aimerais rendre hommage à la Reine Fabiola qui vient de fêter son quatre-vingtième anniversaire. Au nom de tous je la remercie pour ce qu’elle a été aux côtés du Roi Baudouin pendant plus de 30 ans, et pour tout ce qu’elle continue à faire.
En rappelant ces quelques sujets auxquels le Roi Baudouin était particulièrement sensible, il faut bien constater que les situations auxquelles il consacrait tant d’énergie se sont en partie modifiées, mais que les défis de base demeurent. Si je le souligne, c’est que chacun de nous peut contribuer à rendre notre société plus solidaire et plus juste.
C’est le souhait que la Reine et moi et toute notre famille formons à l’occasion de notre Fête Nationale. »