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On a pas mal parlé d’une campagne d’une grande surface qui avait organisé une campagne totalement sexiste il y a quelques jours. Comme d’habitude, après avoir bien fait le buzz, ils ont fini par présenter des excuses bien hypocrites en disant « qu’il n’entrait pas dans leur intention de blesser les femmes, blablabla… ». C’était déjà grave. Mais le pire allait venir par l’avis rendu par le Jury d’ethique publicitaire (JEP) à la suite de la plainte reçue contre cette campagne publicitaire.  

Ce jury, composé essentiellement de représentants du secteur de la pub a donc décrété que « cette campagne n’est pas de nature à dénigrer ou discriminer une catégorie de personnes et qu’elle ne contribue pas non plus à perpétrer des stéréotypes » et encore que « le contenu de cette campagne humoristique est à ce point décalé, absurde et irréaliste que cette dernière ne peut raisonnablement pas être perçue au premier degré par le consommateur moyen« …

Pour comprendre de quoi on parle, voici quelques exemples de la campagne :

  1. Hé vous là, vous aimez bien le ketchup appétissant, hein ?
    Du ketchup onctueux qui rougit tout seul quand il vous donne du plaisir.
    Et les femmes appétissantes, vous aimez ça aussi hein ?
    Mais ça coûte cher les femmes appétissantes.
  2. Elles vont aussi se faire faire les ongles. Vous payez pour chaque ongle.
    Et des ongles, elles en ont à chaque doigt, 20 !
    20 ? Ben oui, faut pas oublier les pieds.
    2 pieds, ça fait beaucoup de chaussures à payer !
  3. Dites, vous aimez avoir des vêtements bien propres, hein ?
    Mais le propre de l’homme, c’est aussi vouloir une femme propre sur elle. On est d’accord ?
    Mais ça coûte cher les femmes propres sur elles, hein !
  4. Et la transpiration, elles aiment pas sentir.
    Elles préfèrent les fleurs.
    Que vous leur achetez. Avec votre argent. Dans un magasin.
    Alors que vous pourriez les cueillir vous-même.
    Dans le bois.
    Mais ça, elles veulent pas.

Vous trouvez vraiment qu’on ne véhicule aucun stéréotype ? On est en 2017 ! Le JEP vient de démontrer les limites d’une autorégulation pure et simple du secteur.

Ci-dessous, voici mon échange de ce mardi avec Jean-Claude Marcourt, Ministre des Médias à ce propos.

Ma question :

À quelques jours de la Journée internationale des femmes, le 8 mars dernier, le quotidien « La Libre Belgique » a relayé l’ouverture par le CSA d’une instruction contre la chaîne de radio Nostalgie, à la suite de la diffusion d’une publicité jugée sexiste des magasins Lidl. Ceux-ci vantaient les prix de leurs produits si peu élevés que les hommes pouvaient « se payer une femme délicieuse ».

Le CSA, organe chargé de la régulation de l’audiovisuel en Fédération Wallonie-Bruxelles, a décidé d’ouvrir une instruction après la réception de plusieurs plaintes de citoyens choqués. En vertu du décret du 2 juin 2016 venu élargir les compétences du CSA, cet organe est désormais apte à vérifier que les programmes et les communications commerciales ne portent pas atteinte au principe d’égalité hommes-femmes. Le Jury d’éthique publicitaire (JEP) a également été saisi de cette affaire et devrait rendre très prochainement une décision quant au respect des règles légales et éthiques par l’annonceur.

La chaîne de supermarchés, après avoir fait le buzz, s’est excusée auprès de chaque client qu’elle aurait choqué, argumentant qu’il s’agissait d’un fait d’humour et non pas d’une volonté de dégrader l’image de la femme ou de véhiculer des stéréotypes sexistes.

Je me réjouis de la mobilisation de la société civile, citoyens et journalistes. J’y vois la preuve qu’un changement évident de mentalité s’opère dans notre société autour de l’égalité hommes-femmes, sujet qui me tient particulièrement à cœur. Malheureusement, les publicités comportant des stéréotypes subsistent encore. En effet, si nous parlons aujourd’hui de la campagne de Lidl, il ne s’agit évidemment pas d’un cas isolé. Lors de la séance plénière du 11 janvier 2017, Mme Isabelle Simonis, ministre des Droits des femmes et de l’Égalité des chances, avait eu l’occasion d’échanger avec la députée Christie Morreale au sujet d’une campagne publicitaire du FOREM.

Cette campagne met en scène une petite fille en tablier rose accompagnée du slogan « Osez réaliser vos rêves… Devenez auxiliaire de ménage!». Sans surprise, elle a été jugée sexiste et condamnée par Mme Simonis. La ministre avait alors confié qu’elle travaillait sur la réalisation d’une grille d’analyse des publicités sexistes et sur la possible intégration de cette grille dans le baromètre « Diversité et égalité dans les médias audio-visuels ». Quelle est votre vision sur l’élaboration de cette grille d’analyse ? Avez-vous eu l’occasion de vous concerter avec Mme Simonis à ce sujet ? Le cas échéant, des propositions seront-elles bientôt présentées à ce Parlement et dans quel délai?

Par ailleurs, quelles mesures avez-vous adoptées pour éviter une telle situation et ainsi empêcher l’exploitation scandaleuse des médias à des fins de buzz publicitaire ? Des actions préventives, telles que le renforcement de la formation et la conscientisation des journalistes autour des questions de genre et d’égalité, sont-elles mises en place? Le gouvernement a-t-il prévu un renforcement du mécanisme actuel de sanctions, dans une volonté d’aborder le problème avec sérieux ? Dans l’affirmative, quelles sont ces dispositions ?

La réponse de Jean-Claude Marcourt, Ministre des Médias :

Tout comme vous, j’ai trouvé ces publicités soi-disant humoristiques d’un goût douteux, voire déplacé. La semaine dernière,après avoir été saisi d’une plainte pour les mêmes publicités radiodiffusées, le JEP a rendu sa décision : il estime que cette campagne publicitaire n’est pas de nature à dénigrer ou discriminer une catégorie de personnes et qu’elle ne contribue pas non plus à perpétuer des stéréotypes.

Cet organe a estimé que « le contenu de cette campagne humoristique est à ce point décalé, absurde et irréaliste que cette dernière ne peut raisonnablement pas être perçue au premier degré par le consommateur moyen». Il est également d’avis que cette campagne ne sera pas interprétée par le consommateur moyen « comme véhiculant une image spécifique des femmes et des hommes dans un contexte réaliste. »

Cette décision ne change en rien la compétence du CSA, notamment fondée sur le décret du 2 juin 2016 modifiant le décret coordonné du 26 mars 2009 sur les services de médias audiovisuels en vue de renforcer l’attention sur l’égalité entre les femmes et les hommes.

S’agissant de l’instruction en cours et de sa durée, je tiens à rappeler que le CSA est un régulateur indépendant. Le secrétariat d’instruction du CSA a été saisi de plusieurs plaintes – treize à ma connaissance – et a décidé d’ouvrir un dossier. La secrétaire d’instruction, Mme Mathilde Alet, m’a fait savoir que ce type d’instruction pouvait prendre entre un et trois mois. Son enquête vient de commencer. La secrétaire d’instruction prendra le temps nécessaire pour mener à bien son enquête, faire des réquisitions et déterminer si l’atteinte au nouveau premier point de l’article 11 du décret «SMA» est établie. Ensuite, elle décidera si le dossier doit être classé sans suite ou si un rapport d’instruction doit être transmis au Collège d’autorisation et de contrôle. Il appartiendra alors au collège de déterminer si des griefs doivent être notifiés à l’éditeur ou non. Le cas échéant, celui-ci sera invité à faire valoir ses arguments dans le cadre d’une audition. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce dossier prochainement.

Comme le relève M. Maroy, il s’agit effectivement du premier dossier portant sur une éventuelle atteinte au respect de l’égalité hommes-femmes. Il n’existe donc pas de jurisprudence. Il ne m’appartient pas de poser les balises à la place du régulateur. Nous sommes à la croisée de la liberté d’expression et du respect de la dignité humaine. Les discriminations liées au genre sont présentes dans les médias, la communication et la publicité, souvent sous le paravent de la notion très large de l’humour. La transmission de stéréotypes liés au genre s’en voit facilitée, en particulier en présentant les femmes comme des objets pour doper les ventes.

Quoi qu’il en soit, une balance des intérêts en présence doit être effectuée : toute atteinte à la liberté d’expression devra être proportionnelle au but poursuivi par le législateur, en l’espèce en matière de lutte contre les stéréotypes de genre.

En ce qui concerne le renforcement des mécanismes actuels de sanction, j’avoue que, si une violation du décret est constatée par le collège, celui-ci a le pouvoir de délivrer une sanction administrative allant du simple avertissement au retrait de l’autorisation de l’éditeur, en passant par la publication d’un communiqué constatant l’infraction ou encore par une peine d’amende en fonction du chiffre d’affaires. Il nous semble que le panel des sanctions est donc suffisamment étendu. Pour le surplus, il convient de laisser le régulateur mener à bien son processus.

En ce qui concerne les plaintes introduites par les auditeurs auprès du CSA, le rapport du CSA pour 2016 n’a pas encore été rendu public. Une légère augmentation a été constatée, sans pouvoir encore déterminer si celle-ci peut être considérée comme significative.Il semble que le grand public a encore du mal à appréhender le rôle du CSA, même si le régulateur travaille sur sa communication. Il est certain que la médiatisation d’affaires comme celle qui nous occupe aujourd’hui augmente la visibilité de l’instance. L’instruction d’un premier dossier en la matière et la médiatisation de celle-ci feront réfléchir les éditeurs, les régies et les annonceurs quant au caractère potentiellement sexiste des contenus.

Quant à la question de Mme Salvi sur le baromètre de la diversité dans les SMA, je répéterai ce que j’ai indiqué en séance plénière le 8 février dernier et en commission le 28 février dernier: nous avons dégagé, avec la ministre Simonis, des crédits pour la réalisation, par le CSA, d’un baromètre de la diversité. Ces crédits s’élèvent à 85 000 euros pour 2017. Dans sa version de 2017 que le CSA devrait finaliser d’ici la fin de l’année, ce baromètre sera axé sur la diversité à la télévision et intégrera une nouvelle grille d’analyse consacrée à la représentation des hommes et des femmes dans la communication commerciale. Les données récoltées nous permettront de quantifier le phénomène tout en proposant aux différents médias un miroir sur leurs éventuels manquements. Une mise en avant des bonnes pratiques répertoriées dans le secteur achèvera cette action.

Je ne peux pas encore me prononcer sur la manière dont je compte me saisir des recommandations qui devraient m’être faites à l’occasion de la publication de ce baromètre. J’étudierai évidemment toute recommandation que me fera le CSA.

Enfin, en ce qui concerne la formation et de la conscientisation des journalistes en matière d’égalité et de diversité, sachez que j’y ai travaillé avec ma collègue, Mme Simonis, dans le cadre d’une convention conclue avec l’Association des journalistes professionnels (AJP). Entre 2013 et 2016, des outils ont été mis en place et présentés par l’AJP aux rédactions des différents médias d’information et aux écoles de journalisme. Un baromètre de la presse écrite a été édité et présenté; des kits pédagogiques pour les étudiants ont été réalisés. Enfin, nous avons mis en place la base de données Expertalia afin de mettre en avant des expertes et des experts issus de la diversité. Le but est de faire changer les mentalités en mettant en avant, auprès des journalistes et des médias d’information, différents profils de femmes dans des rôles valorisants et non plus dans des postures stéréotypées ou d’arguments de vente. Nos cabinets travaillent actuellement avec l’AJP sur une reconduction de cette convention visant à promouvoir des actions en matière d’égalité et de diversité dans les médias d’information.

Pour conclure, je répéterai une fois de plus que je préfère privilégier la sensibilisation, l’autorégulation et la corégulation du secteur, à une démarche coercitive.

Ma réplique :

Je suis totalement choqué et sidéré par la réaction du JEP par rapport à cette campagne. Je fais pourtant preuve d’une certaine ouverture d’esprit et j’apprécie l’humour. Prétendre que la publicité serait suffisamment décalée, absurde et irréaliste pour que l’auditeur moyen le comprenne, pourrait avoir des conséquences fâcheuses. Une telle approche peut aller très loin : nous parlions encore tout à l’heure des articles de Sudpresse, comme celui intitulé « Invasion des migrants, fermez tous vos portes ».

Certes, il s’agit d’humour décalé et bien sûr que l’auditeur moyen comprend qu’il se trouve face à une publicité ou un article qui est décalé, absurde et irréaliste. Il n’y a pas de limites par rapport à ça. Néanmoins, l’avis du JEP met en avant une limite, celle de l’autorégulation totale d’un secteur. Nous avons donc eu raison de donner davantage de moyens au CSA pour intervenir sur ces questions.

Je comprends votre attitude qui consiste à privilégier la prévention et la sensibilisation. Toujours est-il qu’il nous faut nous rendre compte que nous faisons face à des acteurs qui jouent la carte de la provocation gratuite, par simple recherche du buzz. Ils adoptent des stratégies délibérées, couvertes par ce pseudo-humour décalé ou irréaliste, dans le seul but de faire le buzz. Ils cherchent à provoquer, à choquer, tout en se retranchant derrière cette espèce d’autorégulation.

Dans certains cas, le mécanisme de sanction doit être envisagé au niveau des diffuseurs. Ces derniers, tout comme les annonceurs, doivent être responsabilisés. Ils doivent refuser la diffusion d’une publicité qui présente des attitudes sexistes, répercute des stéréotypes et contrevient aux valeurs qu’ils véhiculent. Ils doivent également refuser cette diffusion, en raison du risque de sanction. Si cette menace de sanction n’est pas concrète, elle ne jouera pas pleinement son rôle de prévention