La Libre Essentielle Immo organisait une table ronde sur les réponses du secteur au défi démographique que devait relever Bruxelles. Voici de larges extraits de cette rencontre à laquelle j’ai participé publiés  ce samedi 14 mai sous la plume de Thierry Laffineur.

« Face au futur défi démographique de la Région Bruxelles-Capitale à l’horizon 2020, à savoir un accroissement de la population de 170.000 habitants correspondant à un besoin de 60.000 nouveaux logements, la présente table ronde proposait une réflexion quant aux moyens techniques et financiers, tant privés que publics (crédits, primes et incitants), susceptibles de répondre à cette évolution. Le panel des participants réunissait Serge Fraeijs de Veubeke – Adm. dél. – CIG / Pascal Lasserre – Adm. Dél – Lasserre & Associés / Christos Doulkeridis – Secrétaire d’Etat en charge du logement / Xavier Mertens – Adm. Dél – Home Invest Belgium / Nicolas Rubbers – Directeur Entreprise – BNP-Paribas Fortis et
Angélique Gossia, spécialiste en crédits hypothécaires – BNP- Paribas Fortis.

‘BOOSTER’ POUR CROÎTRE EN EQUILIBRE

Parmi les futures mesures incitatives publiques destinées à l’acquisition de logements moyens, quelles informations peuvent être données quant au futur prêt ‘Booster’, destiné aux jeunes ménages’ ?

C. Doulkeridis : Précisons dans un premier temps la structure de la perspective d’accroissement démographique de la Région bruxelloise telle que prévue par le Bureau du Plan. Elle repose sur 3 axes :
Un solde positif du rapport naissances/décès (facteur d’accroissement de la population) ;
Un solde positif du rapport émigration/immigration internationale (facteur d’accroissement de la population via l’effet ‘Europe’ et celui du regroupement familial) ;
Un solde négatif du rapport émigration/immigration interrégionale (facteur de diminution de la population = davantage de Bruxellois quittent la Région vers la Flandre et la Wallonie que l’inverse).

Ce troisième point est fondamental et mérite attention si l’on souhaite éviter une érosion importante et dommageable d’une population médiane inscrite dans la tranche des ‘revenus moyens’.
C’est à cet effet qu’est initié le ‘Prêt Booster’ (destiné aux moins de 35 ans). Il se veut un incitant à demeurer et/ou à s’installer dans la Région. Décidé dans ces principes fin 2010 à l’occasion de l’adoption du nouveau contrat de gestion RBC -Fonds du logement, il sera opérationnel pour la seconde partie de 2011 . L’avantage de ce dispositif réside dans sa précision d’attribution (= public jeune disposant de revenus moyens), ce que ne fait pas le principe d’abattement des droits d’enregistrement accordés très généralement aux premiers propriétaires.
Concrètement ce ‘Prêt Booster’ (taux d’emprunts préférentiels selon revenus – voir www.doulkeridis.be) a été intégré au nouveau contrat de gestion du Fonds du Logement. Il en constitue un dispositif complémentaire et se destine à une population dont les revenus bruts sont supérieurs de 10.000 € à celle bénéficiant de prêts sociaux (*).

Cette aide permet donc aux jeunes ménages à s’installer de manière structurelle et durable. Par ailleurs, un scan énergétique sera systématisé lors de l’octroi d’un prêt pour permettre de déterminer les éventuels investissements prioritaires pour améliorer la performance énergétique du bien, ce qui constitue l’éco-prêt. Le Fonds proposera alors à l’acquéreur une option, non obligatoire bien entendu, sur un financement de ces s investissements identifiés à un taux de 0%.


S. Fraeijs : Au vu du coût des logements neufs, pénalisés par une fiscalité plus lourde depuis janvier 2011 (TVA généralisée de 21%), les mécanismes d’attribution de ce prêt favoriseront davantage des acquisitions sur le parc existant que sur le neuf.

C. Doulkeridis : Ce n’est pas une volonté délibérée mais il est certain qu’au regard des autres aides disponibles (p.ex. : prêt à taux 0 pour les travaux de rénovation ‘écologiques’), le parc existant est effectivement favorisé. Il est toutefois préférable d’inciter à de telles pratiques (donner les moyens d’acquérir un bien et d’en assurer les travaux économiseurs d’énergie) que de dépenser les mêmes sommes en ‘droits de pollution’.

P. Lasserre : Ces crédits peuvent-ils être transférés d’un bien à un autre (p.ex. : passer d’un appartement 2 chambres à un appartement 3 chambres) au sein de la région ?

C. Doulkeridis : Non. On sortirait alors de la logique qui consiste à accorder une aide ponctuelle à un moment précis de la vie de l’acquéreur potentiel. Dans le cas que vous évoquez le bénéficiaire devra prioritairement rembourser son prêt et réintroduire une nouvelle demande.

REDUIRE LES COÛTS : ROTATION DES STOCKS

S. Fraeijs : Je comprends et partage les motivations de la démarche : fixer une population ‘jeune’ aux revenus moyens est favorable au développement économique de Bruxelles. Il reste toutefois que devant un marché du logement neuf plus onéreux et désormais privé d’incitants fiscaux appréciables, il appartient aux promoteurs privés de développer une stratégie commerciale financièrement favorable.
Pourquoi ? Nous visons la même clientèle (celle des revenus moyens) en développant l’argument que les logements neufs correspondent obligatoirement aux normes environnementales dont celles de la PEB (isolation, ventilation double flux, vitrages performants, etc.) et sont donc ipso facto économes en énergie.
Comment ? L’incitant financier que nous pouvons proposer, et qui fait actuellement l’objet d’un projet pilote sur 11 appartements à Jette, consiste à ‘offrir’ l’équivalent des droits d’enregistrement à des candidats acquéreurs dont les revenus sont situés dans une tranche supérieure de 15.000 € à celle définie pour une acquisition de logement auprès de la SDRB (Société Développement Régional Bruxellois).
Sans entrer dans les détails juridiques techniques (p.ex. : renonciation aux droits d’accession), ce montage est essentiellement rendu possible par une réduction de nos marges de +/- 12,5% (contre 20% sur un marché porteur) et ramène (exemple concret) le prix d’un appartement de 265.000 € à 260.000 € (économie 15.000 €).
Par ce principe nous voulons être complémentaires des actions publiques, favoriser la vente de logements neufs en compensant le surcoût engendré par l’application de la TVA à 21% sur les nouvelles constructions.
Il ne s’agit pas de philanthropie (ni d’accorder des avantages à ceux qui n’en ont pas besoin) mais bien de mettre en œuvre une stratégie de ‘rotation des stocks’ (= vendre rapidement > autofinancement> accroître le volume de biens construits) seule à même de faire ‘tourner la machine’ et répondre aux besoins de nouveaux logements du marché.

STRATEGIE DE CREDIT

Qu’en est-il financièrement, tant en amont (prêt des banques aux promoteurs) qu’en aval (prêt des banques aux candidats acquéreurs) ?

P. Lasserre : Pour les candidats propriétaires situés hors conditions d’accès préférentielles telles que définies par les pouvoirs publics, la technologie a fortement évolué au cours des dernières années. D’une façon très simpliste on peut agir, d’une part, sur la durée de l’emprunt (> 35 ans) et, d’autre part, sur la quotité (sous réserve de certaines conditions il existe toujours des prêts à 125%).

C. Doulkeridis : Ce type d’emprunt n’est pas ‘recommandable’. L’initiative ‘Booster’ vise aussi à permettre à des candidats – en difficulté de trouver un prêt à 100% sur le marché privé – d’en souscrire un auprès du Fonds du logement.

Ang. Gossia : En ce qui nous concerne nous n’avons pas changé de stratégie et maintenons des offres à 100%. Toutefois les analyses sont faites de façon plus pointue au regard de plusieurs critères :
Capacité réelle de remboursement de l’emprunteur notamment au vu de son ratio de charges ;
Valeur du bien. Par souci d’objectivité, elle est désormais établie sur base du compromis de vente et non plus d’une expertise.

S. Fraeijs : Les expériences et retours que nous avons incitent à douter de votre ‘générosité’ ! Alors que les banques (tant en amont qu’en aval de la démarche immobilière) ont un rôle économique à jouer elles se retranchent manifestement derrière la politique du ‘risque zéro’.


(…)
CREATIVITE vs REGLEMENTATION

En amont de la démarche immobilière, quels critères d’emprunt les banques envisagent-elles d’appliquer aux promoteurs ?

N. Rubbers : Nos critères n’ont pas varié et sont restés les mêmes avant et après la crise. Il est toutefois clair que sur un marché haussier (augmentation des valeurs immobilières), tel celui d’aujourd’hui (+ 5%/an), les risques sont minimisés et favorisent l’attribution de crédits. Quant aux critères techniques, ils relèvent de l’appréciation du professionnalisme du promoteur et de la pertinence de ses projets notamment au vu de leurs localisations. Cela sous-tend une autre question. Si, face au défi démographique, la stratégie des prêts est claire et vise principalement les personnes à ‘revenus moyens’ qu’en est-il par ailleurs de la politique de construction et des superficies des biens (70 > 85 m²). En d’autres mots construit-on ou rénove-t-on les bons formats de bâtiments par rapport à une population cible ?

C. Doulkeridis : Face au défi démographique dont les trois axes ont été précisés, une vision stratégique suppose de :
– maintenir une population à revenus moyens et en attirer une nouvelle dans la région ;
– diminuer le coût d’acquisition de l’immobilier par des formules financières et techniques créatives.
– innover en termes techniques, pour réduire notamment les délais de construction (facteur d’économies profitable à tous les acteurs). Cela suppose une implication de la recherche architecturale et d’ingénierie quant aux processus mis en œuvre. (Par exemple : un immeuble de logement construite par un promoteur à Londres en 2008: c’est le plus haut immeuble d’habitation jamais construit en bois. Le bâtiment compte neuf étages et 29 m de hauteur. Les dalles de bois massifs ont été utilisées pour tout l’immeuble, murs et planchers. La structure a été montée en à peine neuf semaines, à un rythme de trois jours par étage.).

S. Fraeijs : Dans la mesure où cette créativité concerne également les promoteurs, il conviendrait que – sans s’inscrire dans la construction de ‘clapiers exigus’ – certaines impositions ou contraintes aberrantes du RRU (***) soient modifiées.

C. Doulkeridis : Entièrement d’accord avec vous. Les évolutions créatives que nous appelons de nos vœux doivent s’accompagner de modifications du RRU. Quelques communes ‘plus ouvertes à l’innovation’ permettent d’ores et déjà des expériences pilotes allant dans ce sens. Il faut en effet accepter que certaines règlementations aient fait leur temps et soient modifiées pour correspondre aux évolutions actuelles. L’exemple de l’impossibilité d’élargir un bâtiment côté rue de 10 à 15 cm pour y placer de l’isolation est aujourd’hui devenu illogique.

LOCATIF ET MULTIFORME

Quelles ressources offrent le marché locatif ?

X. Mertens : Avec un taux de propriétaires sensiblement moins élevé que dans les autres régions (+/- 45 à 50% à Bruxelles contre +/- 75% dans les autres régions), la réponse du marché locatif au défi démographique supplantera celle du marché acquisitif.
Pourquoi ? Quoi qu’on en pense et souhaite l’accroissement de population se fera majoritairement autour des revenus moyens inférieurs, soit essentiellement des candidats locataires dont la charge de loyer se concentrera sur une fourchette de prix compris entre 350 et 650 €/mois. C’est donc dans ce (vaste) créneau qu’il faut également agir et trouver les réponses adéquates, qui devront nécessairement être multiforme. Home Invest Belgium est prête à y contribuer que ce soit au travers  de développements pour compte propre, de collaboration avec des Agences Immobilières Sociales ou de montages en PPP (Partenariat Public Privé). (…)

S. Fraeijs : Le problème de tels montages (PPP) est leur durée. Il renvoie aux rôles des communes, très frileuses devant la prise de responsabilité, et dont la moindre hésitation vaut recours en appel public. Or, encore une fois, la vitesse de construction est un facteur d’efficacité financière.

C. Doulkeridis : Dans la mesure où la Région maintient son objectif de construction de logements sociaux et moyens, nous sommes preneurs des formules PPP mais pas à n’importe quelles conditions.
Le besoin en logement requiert en outre des mesures impliquant davantage le secteur privé (la législation en Flandre, à Paris et au Luxembourg prévoient déjà l’obligation de créer des logements publics dans certaines opérations de logement privées) ;

Par ailleurs, dès lors qu’on construit sur des terrains importants, la notion de quartier durable doit prévaloir. Cela suppose d’y retrouver des typologies différentes d’habitats (social, moyen, supérieur) autant que du locatif et de l’acquisitif. Il s’agit en effet d’assurer une cohérence et un équilibre, d’une part, entre partenaires privés et publics et, d’autre part, au sein de la population des occupants.
De mêmes développements peuvent et devraient (nous y travaillons) être organisés avec les AIS (Agence Immobilière Sociale).

(*), Pour rappel, le Fonds du Logement accorde actuellement +/- 900 prêts selon des conditions préférentielles à des ménages à ‘revenus faibles’. Ce chiffre devrait prochainement atteindre les 1.000 unités.

(**) Cette formule est garantie par la loi sur le crédit qui interdit une variabilité supérieure au double du taux et une durée d’allongement maximum du remboursement de 5 ans. (Le risque de ‘subprimes’ n’existe donc pas)

(***) RRU (Règlement Régional d’Urbanisme) : il fixe notamment les normes d’habitabilité des logements dont les superficies et volumes minima des pièces. «