schopsIgnace Schops, le directeur de l’asbl « Regionaal Landschap Kempen en Maasland », est le premier Belge nommé par l’ancien vice-président américain Al Gore pour faire partie de l’organisation de lutte contre le réchauffement climatique « Climate Leadership Corps ». En 2008, Ignace Schops avait remporté le Goldman Prize, l’un des prix les plus prestigieux récompensant les protecteurs de la nature à travers le monde. Voici le portrait que je lui consacrais dans mon livre « Des Belges ont commencé à sauver la planète » en 2009.

Ignace Schops – Genk, fondateur du premier parc national d’écotourisme

En route vers la province du Limbourg pour une rencontre avec Ignace Schops. Nous l’avons lu dans la presse nationale et internationale, il a remporté quelques mois plus tôt, en 2008, le prestigieux Goldman Environmental Prize, à San Francisco [1]. Chaque année, six « héros » représentant chacun un des six continents reçoivent une récompense de 150 000 dollars pour leur mérite en matière de sauvegarde de la nature.

Ignace Schops est directeur du Regionaal Landschap Kempen en Maasland (RLKM)[2] et c’est en tant que fondateur du premier parc national belge d’écotourisme, un projet de près de 6000 hectares, qu’il reçoit ce prestigieux prix. Sa réalisation est reconnue par l’Union Mondiale pour la Nature comme modèle pour les autres pays membres, en Europe et ailleurs. L’objectif : protéger un vaste domaine naturel qui abrite une importante faune et flore et assurer un développement économique local en créant de l‘emploi et en générant des recettes grâce à l’écotourisme.

Ignace Schops nous accueille dans son bureau. D’emblée il adopte le ton du plaidoyer : « Faisons nous-mêmes ce que nous attendons des autres. Si les régions densément peuplées, prospères et bien développées ne prennent pas leur responsabilité pour la biodiversité et la conservation de la nature, pourquoi les régions moins bien développées (ou en voie de développement) devraient-elles le faire ? »

Pour comprendre ce qui a poussé cet amoureux des grands espaces à mener campagne durant des années pour créer un nouveau modèle de conservation de la nature, il faut se replonger un instant dans le contexte économique de la fin du siècle dernier. Jusqu’au début des années nonante, l’exploitation du charbon avait fait du Limbourg une des provinces les plus prospères du pays. En près de cent ans, les espaces sauvages avaient progressivement fait place aux infrastructures urbaines développées pour accueillir les travailleurs des mines et des industries charbonnières. La fermeture de sept mines laissera brutalement quarante mille personnes sans emploi. A l’époque, les autorités locales se creusent les méninges pour redresser l’économie locale.

De son côté, Ignace Schops a suivi une formation en environnement. Il travaille pour une organisation de réinsertion des chômeurs de longue durée par des activités de conservation de la nature. C’est à ce titre que, toutes les nuits pendant trois ans, il parcourt le Limbourg pour dresser l’inventaire des amphibiens et des reptiles de la région. Sa passion. Lors de ses observations, il réalise que « quelque chose dérape ». Les espèces communes deviennent de plus en plus fréquentes, tandis que les autres se raréfient davantage avec l’urbanisation, l’agriculture intensive et l’industrialisation[3].

Un soir, alors qu’il se joint à quelques amis autour d’un verre, il entame le sujet : comment stimuler la protection de la nature dans la région ? Deux ans plus tôt, avec le RLKM, il a déjà réalisé le réseau vélo « Fietsroutenetwerk »[4], le plus gros succès touristique dans le Limbourg. Cette fois, il veut aller plus loin : « En Flandre, c’est au Limbourg qu’il y a le plus grand espace naturel. On a 6000 hectares[5], on a pensé qu’on pouvait en faire quelque chose ». Les idées fusent : « Nous voulions trouver une solution et être entendus. Alors nous sommes partis de l’idée de rendre sexy la conservation de la nature ». En observant ce que font les Pays-Bas, qui abritent vingt parcs nationaux, ils comprennent qu’il y a là peut-être une voie à suivre. Créer un parc naturel signifie protéger l’environnement de la province pour l’avenir. Le penser « écotouristique » pourrait également fournir des emplois et des recettes à une région en crise. Voilà qui pourrait aussi titiller l’intérêt des autorités. C’est là que le projet naîtra.

Il faudra plusieurs années de lobbying à Ignace Schops et ses amis pour le faire aboutir. Pour augmenter l’impact économique du parc, l’équipe imagine cinq portes d’entrée choisies spécifiquement pour leurs connexions avec les villages voisins : « On est parti de zéro. On avait juste la nature. Mais depuis le début, on était bien conscient que le parc serait situé dans un pays riche, densément peuplé. Plus de six millions de personnes vivent à maximum une heure de route de là. » L’objectif est de faire vivre les auberges, les restaurants, les tavernes et d’encourager les investissements dans divers projets d’accueil tels que les maisons d’hôtes ou les « bed & breakfast ». La façon de procéder est originale car elle ne met pas uniquement l’accent sur le domaine vert. C’est finalement un domaine de 15 000 hectares qui est concerné. Pour créer de nouveaux emplois liés à la gestion du parc, de nouvelles activités sont lancées : magasins de vente et de location de vélos, observation des étoiles, centre de découverte des abeilles, musées, groupes de promenades… tout en maintenant la gratuité pour l’entrée au parc.

Le projet séduit. Sous le slogan « Hoge Kempen, chance verte », le groupe d’amis récolte au bout de six ans près de 100 millions d’euros[6]: « Nous avons obtenu l’argent du secteur économique et l’avons utilisé pour la protection de la nature. C’est le pilier de notre succès ».

Début 2006, le Hoge Kempen National Park est inauguré officiellement par Stavros Dimas, commissaire européen pour l’Environnement et ouvre ses portes au public.  Depuis, 700 000 personnes ont visité le parc[7]. Les prévisions des recettes générées par le parc national après une durée de cinq ans sont de plus de 24 millions d’euros par année. Avec des prévisions de création de 400 emplois pour la communauté locale, le parc constitue un véritable atout pour le développement local et régional.

Ignace Schops est aujourd’hui directeur du Regionaal Landschap Kempen en Maasland (RLKM)[8] et vice-président de Natuurpunt Vlaanderen. En créant le premier parc national belge, il a réussi à concilier l’écologie et l’économie. Son succès est reconnu par le Goldman Prize américain comme valeur d’exemple pour l’étranger. L’impact est positif tant sur le paysage et l’écologie, avec la protection de plus de 6000 plantes dont nombre de spécimens rares[9], que sur les plans économique et touristique.

Aujourd’hui, l’écotourisme n’en est qu’à ses balbutiements. Mais tous les promoteurs de ce secteur en voie de développement sont d’accord pour encourager un tourisme de ce type, alliant proximité et conservation de la nature, intérêt pour l’homme et création d’emplois. Parce que « gagner de l’argent ne passe pas nécessairement par un développement de l’industrie. Cela peut aussi se faire par la nature et la conservation du paysage ». D’ailleurs, un tiers de sa prestigieuse récompense sera consacré au développement de projets parallèles, notamment en Lettonie. Pour la création d’un parc naturel, nous apprend-il, il suffit d’avoir 2000 hectares de nature libre.

En proposant un plan séduisant de gestion de la nature, Ignace Schops aattiré l’attention simultanée des pouvoirs publics, du secteur économique et du grand public. Sa démarche a également été applaudie par l’organisation Ashoka[10] qui l’a nommé « fellow, world leading social entrepreneur ». « Le développement touristique provoque souvent beaucoup de dégâts à la nature. Mais si l’on construit un projet durable développé en lien avec l’environnement, il devient alors une gigantesque opportunité de sauver nos beaux paysages et le développement économique d’une région. C’est ce que nous avons réussi à  prouver ».

Notre rencontre s’achève par la découverte des cinq entrées du parc. Ignace Schops nous y emmène en nous parlant de plantes et d’animaux, d’écoducs qui les laissent passer, de son groupe d’amis sans qui ce projet n’aurait pas été réalisable, de balades groupées à pieds nus. Au passage, il nous fait remarquer une chambre installée dans un train à la déco sixties, un château transformé en hôtel-musée, une vue sur un paysage, un départ de randonnée. Une heure plus tard, nous sommes de retour à Bruxelles, convaincus que c’est là, tout près, juste à côté, que commence un très beau voyage.

 

« Des Belges ont commencé à sauver la planète » de Christos DOULKERIDIS et Caroline CHAPEAUX, éditions ETOPIA, 2009.



[1] En 1990, à San Francisco, le couple Goldman, philanthrope et amoureux de la nature, décide de créer le « Prix Goldman pour l’environnement ». Tous les ans, des défenseurs de l’environnement sont récompensés, répartis en six zones géographiques : l’Afrique, l’Asie, l’Europe, les nations insulaires, l’Amérique du Nord, et l’Amérique latine. Cette récompense est la plus lucrative offerte à titre individuel puisqu’elle s’élève à un montant de cent cinquante mille dollars. Le dernier Goldman Environmental Prize a été distribué le 14 avril 2008 – www.goldmanprize.org

[2] Le RLKM a été créé en 1990 par Natuurpunt Vlaanderen, la plus grosse organisation de conservation de la nature en Belgique et les KS (Kempense Steenkoolmijnen), une société anonyme de mines charbonnières en fermeture. L’objectif : préserver l’environnement dans la province tout en continuant à fournir des emplois et un développement économique.

[3] Il en tirera l’ouvrage « Amfibieën en Reptielen in Limburg. Verspreiding, bescherming en herkenning », Likona, Genk, 1999.

[4] Le Fietsroutenetwerk tend à promouvoir le cyclotourisme dans la région en proposant des pistes réservées uniquement aux vélos ou de petites routes tranquilles pour des balades ou des itinéraires en vélo.

[5] Une superficie de 6000 hectares correspond à un espace de 10 kilomètres sur 6 (pour comparaison, la superficie de la forêt de Soignes est de 4380 hectares).

[6] Des aides ont été obtenues de la Région flamande, de la province, des communes, de l’Europe. Il s’agissait de reliquats importants des financements prévus pour la reconversion des travailleurs à  la suite des fermetures des charbonnages. Ce ne sont donc pas les postes budgétaires consacrés à la nature et à l’environnement qui ont été imputés pour les aides au lancement du parc naturel, mais bien ceux consacrés à l’activité économique (aide aux entreprises, etc.). Le secteur privé a également participé au financement du projet.

[7] Chiffres de 2007.

[8] Le RLKM a été créé en 1990 par Natuurpunt Vlaanderen, la plus grosse organisation de conservation de la nature en Belgique comptant pas moins de 76.000 membres, des milliers de collaborateurs volontaires et 350 employés. L’objectif : préserver l’environnement dans la province tout en continuant à fournir des emplois et un développement économique – www.rlkm.be – www.natuurpunt.be

[9] « Agentschap Natuur en Bos » est en charge de la gestion naturelle du parc.

[10] Ashoka, organisation internationale à but non lucratif et indépendante, créée en 1980 en Inde, a pour objectif de contribuer à la structuration et au développement du secteur de l’Entrepreneuriat Social au niveau mondial.  Son programme phare consiste à sélectionner et soutenir des Entrepreneurs Sociaux innovants afin de leur permettre de démultiplier leur impact sur la société. – www.ashoka.frwww.ashoka.org.