1369809004_trois_ans_apres_le_lancement_national_les_logos_b_comme_1214476_460x306_1_Voici l’échange des questions et réponses que j’ai eu avec le Ministre de l’Economie et de l’emploi bruxellois, Didier Gosuin concernant « les mesures prévues par son gouvernement pour valoriser les artisans boulangers en Région de Bruxelles-Capitale et mieux informer les consommateurs ». Vous lirez que dans l’ensemble, le Ministre est très loin de prendre conscience de l’importance de ces enjeux. Ceci est d’autant plus dramatique qu’à l’échelle internationale nos pays se préparent à encore plus déréguler notre économie avec toutes les conséquences sociales, environnementales et économiques que ça représente. Lire aussi mon article sur les traités CETA et TTIP.

M. Christos Doulkeridis (Ecolo)-Vous n’ignorez pas que le métier de boulanger-pâtissier figure parmi les filières en pénurie depuis plusieurs années dans toutes les Régions de Belgique. Plus de 1.500 boulangeries, dont la majorité sont de petites structures, ont ainsi fermé leurs portes au cours de la dernière décennie. Par ailleurs, trop peu de jeunes se lancent dans cette profession en raison de l’insécurité qui y est économique liée, ou d’une image qui n’est pas suffisamment attractive.

La tendance à l’industrialisation globale du secteur, associée à une concurrence déloyale exercée par les multinationales, est l’une des principales raisons de cette situation. En 2013, l’émission Questions à la Une de la RTBF nous dressait un tableau très préoccupant de la traçabilité et de la qualité du pain que nous retrouvons dans nos grandes surfaces. Nous apprenions, entre autres, qu’il est généralement impossible de déterminer avec certitude la provenance du pain vendu dans les grandes surfaces. Par ailleurs, le pain que nous consommons au quotidien est le plus souvent fabriqué avec des farines contenant de nombreux additifs. Une série de substances sont en effet ajoutées aux farines pour accélérer et augmenter la fermentation du pain ou en modifier la couleur et la texture.

Les spécialistes -nutritionnistes, agronomes, allergologues, gastro-entérologues- pointent la médiocrité nutritive du pain fabriqué selon les méthodes de panification industrielle, ainsi que les effets négatifs des substances qu’il contient sur la santé des consommateurs et des boulangers, celle-ci induisant notamment des problèmes digestifs et d’allergie. Outre l’utilisation de ces substances par les multinationales, un nombre de plus en plus important de boulangers est amené à recourir à ces farines de basse qualité et transformées en vue d’augmenter la vitesse de préparation de leur pain et de pouvoir simplement survivre.

Pour fabriquer du pain dans le respect des règles de l’art de l’artisanat, il faut du temps et des produits de qualité. Dans notre pays, en raison de l’absence de véritables labels de qualité pour le pain, force est de constater que le consommateur n’est pas en mesure de clairement distinguer une production artisanale d’une production industrielle. De leur côté, les boulangers produisant du pain de qualité artisanale ne sont pas en mesure de se rendre clairement visibles et identifiables, ce qui ne leur permet pas non plus de bénéficier de cette plus-value auprès du consommateur et, dès lors, de survivre économiquement.

Outre le fait de contribuer à la basse qualité du pain vendu, tant sur le plan gustatif que sanitaire, il va sans dire que cette situation ne favorise pas non plus l’engagement de nos jeunes dans les métiers de la boulangerie. Cela constitue une perte, tant en termes de création d’emplois qu’au niveau de notre patrimoine. La patrimonialisation de nos savoir-faire participe pourtant à notre identité, et donc à la promotion de notre Région. Nous avons donc tout intérêt à soutenir la viabilité de nos artisans et la pérennité du métier de boulanger-pâtissier.

Pour répondre à cette problématique, tant la Région flamande que la Région wallonne ont mis en place des outils pour soutenir et valoriser leurs artisans boulangers et permettre une meilleure information des consommateurs. L’association de boulangers flamands Bakkers Vlaanderen soutient la profession en organisant notamment des campagnes de promotion et via la création du logo « Ambachtelijke Bakkerij » à destination de ses membres. En Wallonie, des outils de valorisation existent depuis quelques années -dont la Charte du maître boulanger-pâtissier-, et un système régional de qualité différenciée pour les produits agricoles et les denrées alimentaires a été mis en place en 2014. Ces processus peuvent clairement être améliorés, mais ils ont le mérite d’exister.

Sur cette base, un arrêté ministériel définissant les exigences minimales sectorielles pour la qualité différenciée du pain est, par ailleurs, en cours de promulgation. Cette dernière initiative wallonne constitue l’une des premières véritables démarches de certification précise à caractère contraignant pour la protection du secteur, comme c’est le cas depuis de nombreuses années en France, où des règles très claires ont été fixées et où le système de contrôle prouve toute son efficacité. Point n’est besoin de démontrer que le pain est d’une grande qualité en France et qu’il est souvent bien meilleur que celui que l’on peut acheter en Belgique.

En Région de Bruxelles-Capitale, de telles associations d’artisans et outils de promotion, de soutien et de valorisation de nos artisans boulangers n’existent pas à ma connaissance. Nous ne disposons, par ailleurs, d’aucun encadrement législatif permettant de clairement différencier les modes de fabrication respectant les règles de l’art du métier des modes de fabrication industriels.

Il apparaît donc urgent de rattraper notre retard et d’entamer des démarches en ce sens. Le soutien de l’économie bruxelloise, de l’emploi et de la formation, en particulier pour les filières de métiers en pénurie, ainsi que la mise en œuvre des nouvelles compétences telles que la promotion du tourisme dans notre Région, comptent d’ailleurs parmi les priorités du projet d’accord de votre majorité. La valorisation de nos artisans contribue, à mon sens, à la réalisation de ces objectifs.

Quelles sont les initiatives prises pour valoriser et promouvoir les artisans boulangers-pâtissiers en Région bruxelloise? Quelles sont les initiatives prises pour mieux informer les Bruxellois et Bruxelloises sur la qualité et l’origine des pains vendus dans les boulangeries situées sur le territoire de notre Région? Quelles sont les éventuelles concertations avec les deux autres Régions pour soutenir les artisans boulangers-pâtissiers et les filières agro-alimentaires de qualité liées à cette activité? Quelles sont les initiatives prises pour lutter contre la pénibilité de ce métier – difficulté à engager, à transmettre les commerces…-, et pour susciter de nouvelles vocations?

Réponse du Ministre :

M. Didier Gosuin.-Bon nombre de vos questions ne relèvent pas de mes compétences. Soit. Je me permettrai tout d’abord de revenir sur le commerce de bouche dans sa globalité. Celui-ci a été, durant tout un temps, un secteur délaissé et fragilisé. Entre 1950 et 2006, Bruxelles a pleuré la disparition de 90% de ses bouchers, 80% de ses épiciers et 65% de ses boulangers-pâtissiers.

Souci de modernisation, déficit de vocation, concurrence inégale avec la grande distribution et renouveau de la dynamique économique en la matière…, l’artisanat de bouche était plus qu’une espèce en voie de disparition. Or, depuis quelques années, des signaux -certes faibles- convergent vers un futur beaucoup plus alléchant. Le nombre de candidats commerçants ayant reçu l’accompagnement d’Atrium Brussels en 2014 en témoigne: 19 dans l’épicerie, 12 dans la boulangerie-pâtisserie, 7 dans la boucherie-charcuterie, 6 glaciers, 5 dans la confiserie et la chocolaterie.

En 2014, ils étaient ainsi plus de 50 candidats brasseurs, boulangers, bouchers et glaciers à bénéficier de l’accompagnement d’Atrium Brussels. Derrière l’indétrônable horeca, le secteur du commerce de bouche est aujourd’hui devenu celui qui attire le plus de candidats commerçants à Bruxelles.

Cette évolution se répercute évidemment dans la diversité commerciale, dans le nombre d’étudiants dans les filières de l’artisanat de bouche, ainsi que dans les métiers. Ainsi, les chiffres de l’Observatoire du commerce montrent une recrudescence des métiers de bouche sur l’ensemble de la Région, avec une évolution positive depuis 2006 de + 3% pour les boulangeries, + 6% pour les boucheries et + 29% pour les épiceries.

En termes d’initiatives prises pour valoriser et promouvoir les artisans boulangers-pâtissiers en Région bruxelloise, un ouvrage recensant, commune par commune, les boulangers-pâtissiers faisant encore leurs pains eux-mêmes a été publié voici deux ans. Cela a incontestablement permis de mettre en valeur les vrais boulangers-pâtissiers, et non ceux qui sont de simples revendeurs de produits travaillant en sous-traitance.

De son côté, l’agence Atrium Brussels offre une visibilité aux artisans à travers son site Shop In Brussels qui permet leur recherche et localisation sur une carte interactive de la Région.

En outre, Atrium a contribué à l’ouverture ou à l’amélioration de commerces d’artisans boulangers-pâtissiers à travers les primes OpenSoon de la dernière programmation du Fonds européen de développement régional (Feder). Grâce à ses équipes pluridisciplinaires, l’agence offre la possibilité aux candidats commerçants d’être accompagnés, conseillés et soutenus dans leurs projets. L’agence n’hésite pas à informer les candidats commerçants demandeurs d’emploi que ce secteur d’activité en pénurie bénéficie d’une dispense pour reprendre des études de plein exercice et se préparer à la profession.

En ce qui concerne les mesures liées à la pénibilité du métier, la compétence relève de l’autorité fédérale, et plus particulièrement du Service public fédéral (SPF) Santé.

Revenons-en maintenant à la question du label bruxellois. En juin 2014, la ministre de l’Environnement et de l’Agriculture de l’époque a confié à son administration le soin de mener une étude, à laquelle mon cabinet est aujourd’hui associé, sur les possibilités de créer un label bruxellois « Made in Brussels » pour certifier des produits alimentaires, et sur la faisabilité du lancement d’un tel label. Les résultats de l’étude ne sont pas encore connus, mais je peux d’ores et déjà vous informer que les premières indications montreraient que la création d’un label de qualité à Bruxelles n’est peut-être pas possible, vu le lourd fardeau administratif qu’il engendrerait et le coût important des contrôles à effectuer par la suite. De plus, d’après ces premières indications, de nombreux producteurs seraient plutôt réticents à l’égard de l’introduction d’une nouvelle étiquette qui surplomberait celles déjà existantes et celles relatives à la réglementation européenne.

Enfin, actuellement, il n’y a pas encore eu à proprement parler de concertation interrégionale en matière de filières agroalimentaires. Les normes du produit que constitue le pain relèvent de la compétence exclusive de l’autorité fédérale. Je pense, tout comme vous, qu‘il serait judicieux que le pouvoir fédéral redéfinisse des normes permettant d’augmenter la qualité du pain. À ce stade, je ne suis pas capable d’instaurer une norme bruxelloise en la matière. 

Réplique

M.Christos Doulkeridis (Ecolo).-Je ne pense pas qu’il s’agisse d’office de compétences fédérales. La question du label vous aurait permis de travailler sur l’ensemble des enjeux. Au travers de cet outil, qui relève de vos compétences, vous auriez pu établir les conditions d’obtention de ce type de label. Nous ne parlons donc pas ici d’une compétence fédérale. 

La pénibilité du métier est effectivement du ressort du niveau fédéral. Ce métier, comme d’autres, pourrait cependant faire l’objet d’une campagne de promotion. La question de la pénibilité est une question de perception. Il ne s’agit pas seulement de la santé. J’ai abordé ma question du point de vue de l’image du métier. Vous pourriez mener des campagnes de promotion d’un certain nombre de filières d’emploi. C’est de cela que je voulais parler, et pas de la santé et de la prévention. Ma question s’inscrivait donc bien dans le cadre des compétences régionales, que je crois connaître globalement.

J’attendrai les résultats de l’étude sur l’éventuel label, si vous les publiez. Je peux comprendre que l’échelle bruxelloise est handicapante de ce point de vue. La mise en place d’un tel label pourrait être problématique. C’est pourquoi, j’encourageais, dans ma question, des collaborations avec les deux autres Régions. Des pistes en ce sens pourraient être étudiées. Travailler sur une labellisation ou une certification un peu plus large permettrait de faire des économies d’échelle.

En tant que ministre de l’Économie, je comprends que vous vous attardiez davantage sur la profession, mais ma question orale abordait aussi les usagers et consommateurs qui doivent aussi être protégés. Je m’adresserai peut-être à ce sujet à la ministre de l’Environnement.

En conclusion, je vous engage à étudier cette question, que ce soit au niveau des filières agro-alimentaires ou du label, en réfléchissant aux collaborations possibles avec les deux autres Régions pour améliorer la situation bruxelloise.

Pour aller plus loin : Et si on faisait son pain soi-même, ma recette de pain