Melina_MercouriIl y a une semaine, je publiais sur mon blog un article intitulé « L’ambassadeur grec demande à la Belgique d’augmenter ses budgets consacrés à la culture ». Cet article paraissait le lendemain de la sortie (malheureusement) bien réelle de l’Ambassadrice des Etats-Unis qui demandait à la Belgique d’investir plus dans ses dépenses militaires.

Faisant référence à une prise de position de l’Ambassadeur grec « Melinos Merkouris », il disait en substance que la Grèce était le meilleur élève de la classe européenne en PIB consacré à l’armée (plus de 2%), que cela n’avait en aucun cas servi la sécurité, l’économie ou la diplomatie de son pays, et que le meilleur antidote à la violence et à la haine était l’investissement dans la culture.

En une semaine, l’article en question a été partagé près de 1200 fois à partir de mon blog. Si l’on excepte mes recettes de cuisine, la plupart de mes articles plafonnent à 200. Celui-ci a été « liké » très largement sur Facebook et Twitter. Des associations m’ont demandé de pouvoir le publier dans leur lettre d’information, des journalistes l’ont repris dans leurs médias virtuels et finalement l’Ambassade de Grèce m’a appelé pour me signaler qu’il y avait « quelques erreurs » dans le texte. Et pour cause, l’Ambassadeur Melinos Merkouris n’existe (malheureusement) pas.

J’ai écrit ce texte de A à Omega sous forme de dérision en référence à la sortie de l’Ambassadrice des Etats-Unis. Il me paraissait bien évident qu’aucun autre ambassadeur que celui des Etats-Unis ne se permettrait de faire la leçon de la sorte à un autre pays démocratique. La référence à la très appréciée Melina Mercouri, Ministre grecque de la Culture à deux reprises entre 1981 et 1994 était un clin d’oeil à une femme qui plaça la culture à l’honneur dans son pays.

J’ai écrit ce texte parce que j’aurais voulu le lire de la plume d’une autorité plus officielle que moi. Il y a des silences de plus en plus insupportables. J’aurais aussi aimé lire par exemple d’un-e chef-fe d’une grande entreprise industrielle des mots appelant ses homologues à moins d’arrogance : « Quand on touche une rémunération d’au moins 645.000 euros, comme le PDG d’Air-France-KLM en 2014, on a au minimum la décence de ne pas tenir des propos aussi méprisants et ridicules envers ses employés ! » ou encore « Comment peut-on revendiquer avec autant de suffisance d’augmenter sans cesse la productivité des travailleurs de nos entreprises en sous-entendant qu’ils coûtent trop cher par rapport à ce qu’ils produisent quand on permet à un PDG de partir avec un bonus de plus de 60 millions d’euros après avoir reconnu une faute gravissime qui, outre le coût sanitaire de ce scandale, coûtera plusieurs milliards. ».

Mis à part la référence de l’auteur de ces déclarations, ce texte garde à mon sens toute sa pertinence dans le débat. Je suis au moins heureux que ces arguments et ces plaidoyers aient été autant lus et partagés.

Ci-dessous, le texte que j’avais publié :

« C’est une intervention qui a échappé à la plupart des observateurs, mais au lendemain des déclarations de l’Ambassadrice des Etats-Unis qui encourageait la Belgique à investir davantage dans son armée, Monsieur Melinos Merkouris, Ambassadeur de Grèce auprès de la Belgique et de l’Union européenne était invité à Bruxelles à une conférence consacrée à l’utilisation la plus rationnelle des moyens publics pour construire la paix, la prospérité et le bien-être en Europe. Lors d’une intervention attendue compte tenu du contexte économique dans lequel se trouve son pays et du fait que la Grèce est l’un des pays européens qui consacre la plus grande part de son PIB à son armée, l’Ambassadeur a surpris son auditoire. Alors que dans les couloirs chacun s’attendait à ce que le représentant grec en profite pour re-légitimer les budgets affectés par son gouvernement dans l’armée après les critiques acerbes reçues ces dernières années par les autorités européennes, Monsieur Merkouris a pris l’assemblée à contre-pied.

« Mon pays est sans doute le meilleur élève de la classe européenne sur le plan des investissements publics dédiés à sa sécurité militaire. Nous avons consacré de manière annuelle plus de 2 % de notre PIB (2,4% en 2015) à acheter des armes, des chars, des avions, des navires militaires. Tout ça pour quoi ? Regardez dans quel état se trouve aujourd’hui notre pays. A-t-il pour autant été récompensé par ces pays à qui il a acheté ces armes ? Bénéficie-t-il d’une sécurité plus importante ? Son économie se porte-t-elle mieux ? Comme je suis diplomate, je me contenterai de dire poliment que je pense que non. Regardez les discours de haine, les replis frileux, le racisme banalisé soutenus non seulement par des citoyens européens mais aussi par des responsables politiques au plus haut niveau. 

Ce dont nous avons le plus besoin aujourd’hui c’est d’investir davantage dans la Culture. Cet antidote à la violence qui nous invite à la compréhension d’autrui et féconde la tolérance, en nous incitant à partir à la rencontre d’autres imaginaires et d’autres cultures. Ce dont nous avons le plus besoin aujourd’hui c’est de stimuler notre créativité, notre humour, nos doutes, nos remises en question, nos enthousiasmes, nos recherches de sens. C’est là qu’excelle la culture. Jamais aucun char, aucun avion de chasse, aucune arme n’est parvenue à le faire. 

A l’heure où certains demandent à la Belgique d’investir davantage dans son armée, je constate que ce même pays diminue à tous les niveaux de pouvoir les budgets consacrés à la culture. Ses théâtres, ses artistes, ses bibliothèques, ses centres de créativité, ses centres culturels doivent travailler avec des moyens réduits en cascade par chaque acteur public. Et pourtant, il n’y a pas un seul jour qui échappe à une nouvelle alerte sur le plan des valeurs du vivre ensemble. 

Je suis conscient que mon pays n’a sans doute pas la légitimité pour se placer dans le rôle du donneur de leçon. Je ne sais d’ailleurs pas si un seul pays au monde n’a suffisamment de légitimité pour le faire. Mais si vous me demandiez sur base de notre expérience de ces dernières années de crise, des années d’opulence obscène qui les ont précédées, de celles où nous avons connu la dictature, la guerre, la pauvreté, l’exil, l’occupation, la conquête, bref sur base de notre histoire bimillénaire, je vous dirais qu’il y a un investissement qui est le plus sûr et le plus rentable, c’est celui qui est consacré à la culture. »

Bruxelles / 1-10-2015 / ChD

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