atelier_theatre_rVous trouverez ci-dessous les échanges que j’ai eu le 12 mai dernier avec la Ministre de la culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles sur la situation budgétaire à laquelle sont confrontés les Théâtres de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Je suis parti de la situation spécifique rencontrée par le Théâtre Océan Nord pour aborder ensuite l’ensemble des acteurs de ce secteur. Vous trouverez également les interventions de ma collègue Isabelle Emery. La réponse de la Ministre s’articule autour des notions suivantes « mutualisation », « optimalisation », « économies d’échelle » « appel à un consultant extérieur » qui généralement veulent dire « économies ». Une chose est sure, il est faux de dire que les économies ne toucheront pas la culture, comme la Ministre l’a répété, puisqu’au minimum le secteur partira avec une diminution de 1% sur les contrats-programme. Elle a promis des réponses concrètes pour le mois de juin et qu’une part plus importante des budgets devra être réservée à la création. Dossier à suivre…

M. Christos Doulkeridis (Ecolo).

Madame la Ministre, vous le savez certainement, accablé par une situation difficile et un brouillard institutionnel permanent, le Théâtre Océan Nord a annoncé qu’il allait réduire de façon drastique le contenu public de la prochaine saison. Elle ne s’ouvrira que pour deux accueils et avec un impact immédiat sur l’emploi, est-il annoncé. Cela concerne d’abord l’équipe permanente, mais aussi l’engagement des équipes artistiques et de techniciens du spectacle. Cette annonce a fait de l’effet dans le secteur culturel et artistique bruxellois. La situation décrite par l’équipe dirigeante du Théâtre Océan Nord ne peut qu’interpeller, notamment au niveau du pouvoir subsidiant. La spécificité de ce théâtre en tant que laboratoire de création pour les jeunes artistes et les nouvelles formes créatives rend la diminution de ses activités d’autant plus dommageable pour le paysage théâtral et artistique de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

J’aimerais revenir sur la situation que traverse le théâtre depuis des années. Le dernier contrat-programme conclu entre le Théâtre Océan Nord et la Fédération Wallonie-Bruxelles s’est terminé en 2010. Depuis lors, il a été prolongé d’avenant annuel en avenant annuel. En outre, pour nombre d’institutions culturelles, notamment les centres culturels et la majorité des autres théâtres, les subventions n’ont pas été indexées durant toute cette période, alors même que les charges fixes augmentaient. Cinq ans d’incertitude et de promesses politiques manquées auront poussé le Théâtre Océan Nord au bord du gouffre. Au-delà de la non-indexation, vous avez par ailleurs décidé d’appliquer une diminution uniforme de 1 % sur l’ensemble des contrats-programmes lors du budget 2015.

Le Théâtre Océan Nord n’est pas le seul concerné. Nous avons eu l’occasion d’aborder l’enjeu des contrats-programmes des théâtres à plusieurs reprises au sein de cette commission. La situation relève aussi du projet non abouti d’alignement des contrats-programmes en arts de la scène. Ce projet a été entamé mais n’a jamais été conclu par l’ancienne ministre de la Culture. En 2012, celle-ci avait en effet annoncé un processus de remise à plat dans le secteur du théâtre. Je vous avais interrogée à ce sujet le 29 janvier dernier. Vous me répondiez alors que les avis concernant les contrats-programmes avaient été rendus le 20 août 2014. Ils vous ont été transmis le 17 octobre. Vous nous affirmiez que les décisions interviendraient avant le 1erjanvier 2015 pour une application au 1erjanvier 2016. Pouvez-vous me confirmer ce calendrier? Avez-vous entamé un processus de rencontre des opérateurs qui n’avaient pas été auditionnés par ailleurs? Quel est le projet exact quant à la reconduction des contrats-programmes? Pouvez-vous nous en dire désormais davantage concernant l’enveloppe, mais aussi les synergies potentielles ou les mutualisations? De quand datent les contrats-programmes des autres théâtres?

Dans votre réponse du 27 janvier, vous rappeliez plusieurs focus du processus «Bouger les lignes» et notamment le décloisonnement des disciplines, le soutien à la création, le soutien à l’emploi et le soutien à l’emploi des jeunes artistes. À cet égard, le Théâtre Océan Nord semble répondre très spécifiquement à ces objectifs, comme en témoigne la réaction de nombreux artistes sur le terrain, qui rappellent l’importance de cette institution pour la recherche et la création. Je vous demanderai enfin si vous avez eu l’occasion de rencontrer les opérateurs du Théâtre Océan Nord. Si c’est le cas, qu’en est-il ressorti?

Mme Isabelle Emmery (PS). – Dans un premier temps, je vous parlerai du cas particulier du Théâtre Océan Nord et, dans un second temps, j’élargirai mon propos à l’ensemble du secteur. Mon groupe politique s’est déjà préoccupé de cette question puisque, le 15 janvier 2015, ma collègue Anne Lambelin vous interrogeait sur le renouvellement des conventions et des contrats programmes des opérateurs du secteur des arts de la scène. Vous nous informiez alors de votre volonté de communiquer votre décision pour le mois de juin et, entre-temps, de désigner les porteurs de projets. Vous insistiez aussi sur votre vision de l’évolution de la politique culturelle et de la nécessaire redéfinition des objectifs des contrats-programmes.

Malheureusement, dans cet intervalle, le Théâtre Océan Nord a annoncé la diminution du nombre de ses créations pour la saison prochaine.

En effet, sa directrice, en l’absence d’informations sur l’avenir de son subventionnement par la Fédération Wallonie-Bruxelles et vu les coupes budgétaires liées à la diminution de 1 % de toutes les conventions et contrats-programmes, a dû réduire la voilure. Quelle position le Conseil de l’art dramatique (CAD) a-t-il prise concernant le renouvellement du contrat-programme du Théâtre Océan Nord? Votre analyse du dossier diffère-t-elle des recommandations de l’instance d’avis? Avez-vous rencontré les responsables du théâtre avant l’annonce faite à la presse par sa directrice au sujet de la diminution du nombre de créations? La suite de mon propos s’inscrit dans un contexte plus large, mais très important puisqu’il concerne le devenir du secteur des arts de la scène. Lors du débat que nous avons eu le 30 avril 2015 à la faveur de certaines interpellations, vous nous précisiez le contenu d’une circulaire envoyée aux opérateurs. Vous y faisiez référence à une note d’intention concernant le secteur. Avez-vous effectivement rencontré l’ensemble des opérateurs comme vous l’aviez indiqué, ou cela est-il encore en cours? L’actualisation de différents dossiers que vous évoquiez repose-t-elle sur des éléments purement budgétaires ou existe-t-il des modifications

dans le projet artistique? Dans ce dernier cas, l’instance d’avis a-t-elle été consultée à propos des changements, à savoir notamment le renforcement de l’emploi et de la promotion des artistes, la clarification des missions des opérateurs afin d’assurer une réelle diversité de l’offre, ou encore la volonté de toucher de nouveaux publics? De quelle manière avez-vous intégré ces grandes orientations dans la politique culturelle des contrats-programmes? Où va-t-on retrouver ces orientations dans la rédaction? Dans quels articles, dans quels chapitres? La note d’orientation de la politique théâtrale à laquelle vous avez fait référence le 30 avril 2015, annoncée pour le mois de mai, va-t-elle être présentée de manière exhaustive au parlement? L’information est actuellement diffuse. Les résultats des ateliers à propos de votre plan «Bouger les lignes» n’étant pas encore disponibles, comment allez-vous articuler cette note d’orientation avec les futures conclusions de ce plan?

Nous sommes en présence d’une quasi révolution des esprits dans le secteur. Étant donné que ce sont de profonds changements dans les lignes directrices pour les opérateurs, envisagez-vous de modifier le décret? Ma dernière question a trait au changement de catégorie dans le nouveau contexte du moratoire. Ce point est-il ouvert ou pas?

Je sais que j’ai débordé de ma note écrite, mais je crois que c’était justifié par le fait que nous sommes bel et bien dans le cadre d’une interpellation et que l’actualité de la dernière quinzaine me permet de rebondir sur ces éléments.

Mme Joëlle Milquet, vice-présidente et ministre de l’Éducation, de la Culture et de l’Enfance.

– Je me suis déjà expliquée sur ce point à la suite d’une question posée il y a quinze jours. J’ai envoyé une lettre à l’ensemble des différents opérateurs des arts de la scène afin de bien tout expliquer, comme je m’y étais engagée. La décision à propos des reconductions et des montants sera prise en juin. Concernant les nouveaux contrats-programmes, nous entrons dans une période nouvelle de cinq ans. Ceux-ci doivent s’inscrire dans la logique des orientations de la nouvelle politique culturelle que nous comptons mener, à savoir mettre l’accent sur l’artiste et l’emploi des artistes. Nous devons avoir une meilleure transparence en ce qui concerne la présentation et la ventilation des budgets selon la part artiste, la part opérationnelle, la part pour des services de cadre, la part sur des missions différentes. 

Dans le monde des arts de la scène, il est également opportun d’avoir une diversité. Pour cela, il faut qu’il y ait des spécificités, des missions mieux précisées en ce qui concerne certains types de théâtre. On a besoin de théâtre-action, de nouvelles compagnies émergentes, de théâtre plus populaire. Il faut aussi que les projets soient beaucoup plus précis.

Par ailleurs, comme je l’ai dit, le monde du théâtre doit être organisé de manière optimalisée. Non pas en diminuant l’enveloppe budgétaire affectée au théâtre, mais en mutualisant, le cas échéant, les décors, les services décors et costumes, la billetterie, en tout ou partie selon une base locale, etc. Les coûts ainsi réduits peuvent être réinvestis dans la création, dans le nombre de représentations, dans l’emploi, dans la part auteur et la part artiste, etc. Ces nouveaux contrats-programmes rentreront tout à fait dans ce cadre. C’est pourquoi j’ai prévu de déposer fin mai une note d’orientation pour expliquer la vision des arts de la scène des cinq prochaines années, afin de faire la clarté sur les rôles, d’avoir une transparence sur le fonctionnement et les coûts, de définir des priorités en ce qui concerne la promotion et l’engagement des artistes, la vie des jeunes compagnies, la place réservée aux compagnies émergentes, etc. C’est sur la base de cette note d’orientation que les contrats-programmes seront établis en juin. Je confie ce rôle à un consultant afin que pour la fin de l’année, nous puissions rédiger des contrats-programmes sur la base d’un audit et de propositions d’optimalisation qui permettent de dégager des marges complémentaires. Je ne vais pas subitement avoir cinq millions de plus pour les théâtres, mais il est possible de trouver en interne des marges complémentaires. Cela exige bien entendu de faire un vrai travail. On pourrait notamment rassembler, à Bruxelles et en Wallonie, le service décors et costumes pour l’ensemble des théâtres avec du personnel pérenne. J’y serais favorable. Mais il existe bien d’autres pistes, comme la mutualisation du service billetterie par exemple.

Tout cela se discute et se négocie avec le secteur, sans qu’il soit question d’imposer quoi que ce soit. Par rapport aux nouvelles priorités, cela permet d’ouvrir des places et d’augmenter les budgets pour ceux qui le méritent.

Au départ, Océan Nord était une compagnie subventionnée comme telle et non comme théâtre. Je comprends dès lors qu’ils aient des difficultés financières. Océan Nord fera l’objet d’une analyse et des décisions seront prises sur la base des avis émis. On pourrait également envisager une fusion de projets, certains étant peut-être à bout de souffle, d’autres étant en train d’émerger. Comme on ne dispose pas nécessairement de place et de lieux pour tous, cela pourrait être intéressant. Pour l’heure, nous rencontrons les dépositaires des projets. Nous entendrons également des acteurs clés. J’ai reçu les représentants des deux commissions, les patrons, les syndicats. Sur cette base, je déposerai, fin mai début juin, une note qui fondera les décisions. Dans le courant du mois de juin, nous serons fixés.

M. Christos Doulkeridis (Ecolo) – Je me perds un peu dans les échéances. D’une part, vous dites que vous rédigerez une note d’orientation d’ici à fin mai. J’imagine que c’est sur cette base que vous motiverez la décision qui sera communiquée aux différents acteurs début juin. D’autre part, vous évoquez une échéance d’ici à la fin de l’année. Je n’ai pas compris l’articulation entre ces trois échéances.

Mme Joëlle Milquet, vice-présidente et ministre de l’Éducation, de la Culture et de l’Enfance. – Le calendrier prévu d’ici à fin décembre se présente comme suit. Je soumettrai d’ici à fin mai une note d’orientation au conseil. En juin, sur la base des avis, nous rendrons publics les décisions et montants affectés. Nous aurons alors jusqu’à fin décembre pour discuter des contrats-programmes, sur la base de la note d’orientation bien entendu. Nous établirons par exemple des règles claires sur la part emploi et la part artiste, la manière de présenter les budgets, les règles de gouvernance, la manière d’organiser une optimalisation sur la base notamment des conclusions établies par un consultant. Au terme de ce processus qui prendra sans doute deux ou trois ans, chacun verra ses missions clarifiées.

M. Christos Doulkeridis (Ecolo)

– Je vous remercie de m’avoir précisé le calendrier. Vous avez confirmé qu’il allait être fait appel à un consultant. Qui s’en chargera? Ce consultant va-t-il travailler à votre service ou au service des différents acteurs pour les aider à réaliser le travail de mutualisation dont vous avez parlé?

Mme Joëlle Milquet, vice-présidente et ministre de l’Éducation, de la Culture et de l’Enfance.

– Ce consultant sera à la disposition des acteurs du secteur et de la commission afin de pointer les endroits où chacun peut faire des économies d’échelle en mutualisant les ressources ou afin de dégager des marges, en organisant autrement le décret, en vue de réinvestir dans ce qui est le plus important, à savoir la part artiste, l’emploi, le nombre de représentations, l’émergence de nouvelles compagnies, etc. Il s’agit de se concentrer sur la part purement artistique pour éviter de consacrer une part trop importante des 30 millions à la construction ou aux frais généraux, qui pourraient être gérés de manière plus économe. À titre d’exemple, pour le secteur des musées, j’ai introduit dans les contrats-programmes l’idée d’un avenant sur la base notamment des propositions de mutualisation entre musées.

M. Christos Doulkeridis (Ecolo)

– Si je comprends bien, une décision sera communiquée en juin pour une partie des montants consacrés à chacun des acteurs. Ces montants risquent encore d’évoluer d’ici à fin décembre en fonction du travail réalisé sur la mutualisation.

Mme Joëlle Milquet, vice-présidente et ministre de l’Éducation, de la Culture et de l’Enfance. – Les montants de base décidés sur une base pluriannuelle seront connus. Évidemment, les montants qui vont se dégager du processus pourront être réinvestis sur la base du travail d’optimalisation.

M. Christos Doulkeridis (Ecolo).

– Nous vous demanderons plus de précisions en juin, ce qui nous permettra certainement d’y voir plus clair. J’attire votre attention sur deux éléments. Vous dites souvent que le budget de la Culture n’a pas été touché. Ce n’est pas tout à fait exact puisque nous partons d’une diminution uniforme de 1 % sur l’ensemble des contrats-programmes. Par ailleurs, à vous entendre, un montant fixe serait déclaré au mois de juin. Par la suite, d’autres montants pourraient éventuellement, sur une base de mutualisation, être réinjectés dans le secteur pendant les cinq ans à venir.

Mme Isabelle Emmery (PS). – Comment cette note d’orientation du mois de mai s’articule-t-elle avec le plan «Bouger les lignes»? Quel est l’apport des ateliers? Quel est le rôle de l’instance d’avis dans la rédaction de cette note?

Mme Joëlle Milquet, vice-présidente et ministre de l’Éducation, de la Culture et de l’Enfance. – Je vais soumettre le projet de note aux instances d’avis et, bien évidemment, aux personnes qui travaillent sur le plan «Bouger les lignes». Ce projet correspond en tous points aux éléments de renforcement de la place de l’artiste et de la part emploi, de la réduction des coûts de fonctionnement, de la transparence de la gestion des théâtres. Nous allons prévoir des parts relativement équilibrées sur la base de l’analyse du secteur que nous sommes en train de mener.

Mme Isabelle Emmery (PS). – Vous dites que des moyens seront alloués en juin sur la base de la renégociation des contrats-programmes et des moyens dégagés par la mutualisation. Cela implique-t-il qu’on les retire à certains pour les donner à d’autres? Cet objectif très rationnel n’est-il pas de nature à déséquilibrer le secteur?

Mme Joëlle Milquet, vice-présidente et ministre de l’Éducation, de la Culture et de l’Enfance. – Je ne puis donner les conclusions d’une mission de consultance en cours. Je n’ai pas de nouveaux moyens par rapport à l’ensemble du secteur. Celui-ci demande davantage d’investissements, de subventionnements de nouvelles compagnies, et surtout un transfert vers

l’artistique et l’emploi. Or comme dans l’ensemble de notre gestion culturelle, le secteur est mangé par des coûts de fonctionnement, de structure et de personnel administratif qui, mutualisés, peuvent être réduits. Cette réduction passe alors dans la part artistique. Parfois, des gestions pourraient de toute évidence être optimalisées.

Mme Isabelle Emmery (PS). – Nous sommes tous conscients qu’il s’agit d’une réelle transformation des esprits lorsque vous évoquez la spécialisation de tel ou tel opérateur. Cela ne se passe-t-il pas par un décret?

Mme Joëlle Milquet, vice-présidente et ministre de l’Éducation, de la Culture et de l’Enfance. 

– Il faut bien évidemment une base décrétale pour l’avenir, mais on peut très bien le faire via le contrat-programme. Améliorer le décret ne me pose aucun problème. Le décret actuel définit quelles sont les missions. Les missions peuvent évidemment un peu varier d’un théâtre à l’autre suivant la spécificité du projet. Le Théâtre de Poche n’est pas le Théâtre du Parc, par exemple.

Mme Isabelle Emmery (PS). – Je n’y vois pas encore très clair. M. le président.