Ce vendredi 15 janvier, le quotidien « l’écho » publiait mon interview par Martin Buxant. Voici le texte des échanges. Mon message s’articule surtout autour de l’urgence d’affronter le vent dominant du repli sur soi et du retour de l’obscurantisme. De combattre un à un les stéréotypes qu’on nous assène à longueur de journée « les pauvres trichent, alors il faut les contrôler, la droite gère mieux, la gauche ne sait pas gérer, il faut aider les grosses boites, les services publics coûtent trop cher, la culture est un luxe, s’occuper des enfants qui ne suivent pas à l’école c’est du nivellement par le bas, etc. »
Les phrases clés
– « L’obscurantisme guette, on est prisonniers des dogmes conservateurs: depuis Anvers, la N-VA nous assène ses stéréotypes anti-pauvres et anti-services publics. »
– « Sur la laïcité de l’Etat, je pense que ce n’est pas le moment de chipoter avec des notions constitutionnelles, ce n’est pas ça qui va aider le vivre- ensemble. »
– « Il n’y a pas d’alliance des partis de gauche et d’extrême gauche, la politique clientéliste du PS reste une barrière entre eux et nous. »
Vétéran de la cause verte, député et chef de file Ecolo à la Communauté française, Christos Doulkeridis sort l’artillerie (verte).
Comment ça va?
Les mauvaises nouvelles s’accumulent, je dirais qu’on est revenu aux pires époques de ces 20 derniers siècles. On est revenu à un obscurantisme qui rappelle le Moyen Âge, les périodes qui ont précédé les Lumières. L’obscurantisme, ce sont les fascistes islamistes, mais pas uniquement. On a deux grandes menaces aujourd’hui: le défi climatique et le défi du vivre ensemble. C’est les deux marqueurs déterminants de notre époque.
Halte là: la COP21 a quand même produit des résultats à Paris…
Je ne les méprise pas, je sais combien il est difficile d’obtenir des résultats et un consensus en la matière. Que des pays gros consommateurs prennent leurs responsabilités par rapport à des plus pauvres. Mais est-ce que le fait qu’il y ait eu cet accord arrête le travail? Non. On pourra arrêter de se battre quand on aura réduit l’impact humain sur le climat.
On ne va pas noircir le tableau à outrance quand même…
Est-ce qu’on prend les décisions de régulation suffisantes? Est-ce qu’on injecte des moyens suffisants? Non. Des engagements ont été pris mais regardez la Belgique: on est totalement en deçà de ce qu’on devrait réellement faire. L’essentiel des décisions est entre les mains des conservateurs de droite ultra-dominant.
Les riches dominent le monde, c’est ça?
Je dis plutôt que la mode reste au libéralisme conservateur, on fait des courbettes aux grandes entreprises, aux forces du pouvoir, du côté d’Anvers. Avant, c’était le boulevard de l’Empereur qui dominait, maintenant, c’est l’empereur De Wever. On vit dans un régime moyenâgeux avec des petits rois qui coexistent entre eux et des empereurs au-dessus d’eux. On doit faire allégeance à Anvers, de Sarkozy jusqu’aux diplomates.
La N-VA sort du bois et remet le communautaire sur la table.
Mais moi ça ne m’étonne pas: ils ont été élus, ils appliquent leur programme de manière décomplexée, ils annoncent que la Belgique ne sera plus là en 2025, voilà, pour eux c’est plié. Encore une fois, c’est le dogme nationaliste, la force de la pensée unique. La N-VA nous bassine avec des clichés du style « les pauvres trichent, alors il faut les contrôler », la droite gère mieux, la gauche ne sait pas gérer, les riches créent de l’emploi, les services publics coûtent trop cher, la culture est un luxe, s’occuper des enfants qui ne suivent pas à l’école c’est du nivellement par le bas, etc. On a des dizaines de préjugés qui sont en train de s’installer durablement dans notre société au nom d’un dogme de l’ultra-droite. Et le plus grave, c’est que c’est relayé de manière tout à fait décomplexée sur les réseaux sociaux. On tape sur les cheminots, on tape sur les enseignants, et tout part en vrille.
Il y a quand même des gaspillages aux chemins de fer, même les syndicats en conviennent…
Si on n’a pas la SNCB, on a plus de bagnoles sur nos routes, et donc ça pollue plus. La SNCB, c’est un service, c’est aussi simple que ça, ça coûte de l’argent. Arrêtons de faire croire qu’un service va mieux fonctionner si on tape toujours dedans et qu’on lui enlève des moyens. Et j’ajoute que la gabegie, tout le monde en est responsable – notamment le Parti socialiste.
Ah, vous attaquez aussi le Parti socialiste…
La plupart des mesures aujourd’hui en place, le PS a contribué à les installer: l’exclusion des chômeurs, etc. Les conservateurs, ils sont aussi du côté des socialistes, voilà pourquoi je parle en termes de progressistes/conservateurs et pas en termes de gauche/droite.
Tant au PS qu’au MR ou au DéFi, on réfléchit à la place de la laïcité dans l’Etat…
L’Etat est séparé des affaires religieuses et philosophiques, c’est un principe. Qu’on puisse vivre ensemble peu importe les convictions. Si on commence à chipoter avec les notions de laïcité et de neutralité, dans un objectif d’exclusion, je dis attention. Est-ce que ce sont des changements de textes qui vont nous aider aujourd’hui? Quand je vois que la Belgique a répondu aux attaques de Daech uniquement par des outils de sécurité, je dis que ce n’est pas assez. Il faut de la sécurité, mais il faut aussi de la prévention.
C’est aussi le job de la Communauté française!
Et elle ne le fait pas. Le Fédéral va demander à l’Europe que les dépenses de sécurité soient budgétairement immunisées. Pourquoi le gouvernement francophone n’en fait-il pas autant pour les dépenses de culture? Non, ce gouvernement reste les bras ballants. On est à côté de la plaque, on ne défend pas nos valeurs. Je prends un autre exemple: l’annulation du feu d’artifice, pour moi, c’est un des rares événements qui rassemble, comme le football, au-delà des clivages.
Sinon, ce n’est toujours pas la grande forme électorale chez Ecolo…
Nos priorités sont bonnes mais c’est vrai qu’électoralement, ça ne percole pas. On n’est pas dans la politique clientéliste, donc forcément ça paye moins.
Le PTB vous taille des croupières… Non, ils ont une communication très sympa, avec Raoul (Hedebouw, NDLR) en porte-drapeau, un mec très bien avec qui on a envie d’aller boire des bières, mais derrière il n’y a aucune démocratie interne. À Bruxelles, le PTB, ce sont des « bobolcheviks », ils sont sympas, mais ne disposent d’aucune marge de manoeuvre et restent dans le canevas politique marxiste.
Il est quand même étonnant de constater que ni sur l’impôt sur la fortune ni sur la réduction du temps de travail, vous ne parvenez à accorder vos violons avec le PS et le PTB, les deux autres partis de gauche…
C’est parce que nous avons des points de tension structurels avec ces partis. La politique conservatrice et clientéliste du Parti socialiste, une politique qui ne remet pas en question les modèles de consommation ne nous convient pas. Pareil avec le PTB qui reste dans un modèle productiviste. Regardez sur la vente d’armes, c’est criant, ni le PS ni le PTB ne veulent remettre en cause le modèle de la vente d’armes par la Wallonie…