La semaine dernière, j’ai adressé une lettre à Monsieur le Premier Ministre Elio Di Rupo dans laquelle je lui propose d’améliorer le pouvoir d’achat des citoyens en agissant sur le logement. Ce courrier a d’ailleurs fait l’objet d’un article dans le journal L’ECHO de ce mercredi 13 juin 2012.

Monsieur le Premier Ministre,

Alors que la crise économique frappant notre pays et nos concitoyens a des impacts importants, la Belgique consent à des efforts significatifs en termes de préservation du pouvoir d’achat des ménages.

Les différents gouvernements mettent en place des choix politiques responsables et maîtrisent les grands équilibres budgétaires pour que leurs actions dans ce domaine puissent être poursuivies et renforcées.

Dans le cadre des discussions relatives à un plan global de relance économique, j’aimerais attirer votre attention sur un enjeu fondamental pour les citoyens. Force est de constater que, dans les trois Régions du pays, de plus en plus de ménages rencontrent des difficultés pour réaliser leur droit constitutionnel au logement, a fortiori s’il s’agit de le faire dans des conditions financièrement abordables. Les listes et délais d’attente pour obtenir un logement social sont particulièrement longs, toutes Régions confondues. Fin 2010, en Région flamande, on dénombrait 96.000 candidats sur les listes d’attente (mais on estime que 180.500 ménages satisfont aux conditions légales pour pouvoir prétendre à un logement social) et 33.000 ménages en Région wallonne. En Région bruxelloise, plus de 38.000 ménages sont actuellement en attente d’un logement social et, de manière plus large, pour répondre au boom  démographique, 60.000 nouveaux logements devront y être proposés dans les 10 années à venir.

L’élargissement du parc public de logements se fait très lentement, mais le nombre de logements abordables est tout aussi insuffisant sur le marché locatif privé. Les loyers sont élevés et ne cessent d’augmenter. Selon l’enquête sur le budget des ménages et l’enquête EU-SILC sur les revenus et les conditions de vie, le loyer moyen en Belgique s’élevait en 2010 à environ 450 euros. L’Institut pour un Développement Durable estime que la hausse annuelle du prix des loyers est supérieure d’au moins 1 pour cent à celle de l’index santé. Mais il y a des écarts importants entre les Régions. Selon l’enquête 2010 de l’Observatoire bruxellois des loyers, le loyer moyen dans la Région de Bruxelles-Capitale atteignait 591 euros, après une forte hausse au cours de la période 2008-2010, touchant surtout les 25 % de loyers les plus bas (qui ont connu une augmentation de 10 % jusqu’à arriver à une moyenne de 450 euros en 2010). Le coût du logement pèse souvent lourdement sur le budget des ménages, d’autant plus s’ils ne disposent que de faibles revenus.

Les chiffres de 2010 de l’Observatoire des loyers de la Région de Bruxelles-Capitale indiquent que les familles (avec ou sans enfants) consacrent environ 30 % de leur budget au loyer ; pour une personne seule avec enfants, cela monte à 40 % des revenus en moyenne. Les bénéficiaires du revenu d’intégration, aussi bien les personnes seules que les familles qui louent un logement privé, doivent y consacrer une grande partie de leur revenu, de la moitié aux deux tiers. Et la situation est, la plupart du temps, pire pour les familles monoparentales, composées souvent de femmes seules avec enfants.

Outre les loyers et les prix d’acquisition, la hausse du coût du logement est également marquée par la hausse des prix de l’énergie. En effet, avec une moyenne autour des 350 KWh/m²/an, l’efficacité énergétique du parc immobilier belge est l’une des plus mauvaises d’Europe. A titre d’exemple, cette consommation énergétique moyenne est à diviser par deux pour les Pays-Bas. En cause de ces mauvais résultats, l’âge du parc immobilier où plus de 78% des bâtiments ont plus de 30 ans et le faible taux de renouvellement ne parviennent pas à compenser la donne.  Sans investissement dans leurs logements, les plus faibles dépenseront toujours plus pour se loger. Parallèlement, la part des charges dans le coût du logement ne cessera d’augmenter.

Aussi, si le pouvoir d’achat est en berne, on le doit notamment à la hausse du coût du logement.

Il s’agit là des préoccupations premières de nos concitoyens. Comment aujourd’hui payer un loyer de 450 euros, et des charges croissantes, quand on en gagne 900 ?

Volontarisme et responsabilité doivent donc être au cœur de notre action ; la situation l’exige. La crise économique, sociale et financière est là, et nos concitoyens, en particulier les plus modestes, n’ont jamais eu autant besoin de nos services publics. Cette responsabilité politique implique que des décisions qui nous permettent de continuer à agir sur le long terme soient concertées entre le Gouvernement fédéral et les entités fédérées, particulièrement à l’heure où le Gouvernement fédéral envisage de s’atteler à des mesures de relance économique.

Certaines mesures anti-crise visant le secteur de la construction avaient été mises en place dans le cadre du précédent plan de relance économique du Gouvernement fédéral. Couplées à la baisse des coûts de construction et aux divers avantages fiscaux existants, ces mesures visaient à amortir les effets de la crise économique et par conséquent, à réduire le recul prévu pour le secteur de la construction en apportant un supplément d’activité dans le secteur.

Il me semble important que, parmi les initiatives de relance que votre Gouvernement proposera, vous puissiez susciter la mise en place d’une conférence nationale pour l’amélioration du pouvoir d’achat des ménages par la réduction du coût du logement, impliquant les différentes entités institutionnelles du pays ainsi que le secteur privé.

En effet, si la nouvelle architecture institutionnelle confiera à l’avenir aux Régions la très grande part des leviers d’action en matière de logement et d’énergie, il n’en reste pas moins que l’Etat fédéral conservera certains outils importants en ces matières et que, par ailleurs, il dispose, jusqu’au transfert effectif des compétences, de la capacité et de la responsabilité de donner les impulsions utiles dans les futures compétences transférées, notamment aux fins d’une relance économique.  Il va sans dire que le Gouvernement fédéral dispose aussi d’une capacité à mettre autour de la table l’ensemble des entités et les secteurs concernés pour susciter une action coordonnée.

Parmi les leviers d’action ayant un impact évident sur le pouvoir d’achat et qui pourraient être activés dans une telle dynamique, toutes entités confondues, citons à titre d’exemples :

– des mesures liées à la T.V.A. applicable aux travaux de construction et d’amélioration du logement, permettant d’en diminuer le coût, en ciblant prioritairement les revenus les plus faibles, les personnes âgées et les personnes handicapées, ainsi que les travaux réduisant significativement la facture énergétique;
–    en matière d’impôt, outre des mesures visant à cibler et renforcer les régimes de déductibilité de certains travaux et investissements réduisant le coût global du logement (incluant les charges énergétiques), on pourrait songer à des mesures innovantes réformant le régime fiscal des voitures de société en y substituant partiellement, au choix du travailleur, un mécanisme encourageant financièrement et facilitant le logement à proximité du lieu de travail. Une telle mesure présenterait naturellement des avantages en terme de pouvoir d’achat, mais aussi de mobilité, de qualité de vie et d’environnement ;
–   en matière de politique des prix, comme votre Gouvernement en a pris l’initiative pour les prix de l’énergie, des mesures fédérales sont possibles pour activer des mécanismes d’encadrement temporaire ou structurel de l’évolution des loyers ;
–    un soutien renforcé pourrait être apporté à certaines formules de logement, nouvelles ou alternatives, permettant en particulier à des personnes fragilisées dans l’exercice de leur droit au logement de trouver une réponse digne et adaptée à leur besoin. Je pense notamment à l’habitat solidaire, au logement « kangourou », à des formules de logement permettant aux personnes âgées ou handicapées de vivre plus longtemps autonomes aux côtés de personnes plus jeunes ou valides, ou encore à des formules de colocation permettant de partager les coûts du logement, Les Régions et Communautés doivent stimuler ce type de projets et le font déjà, mais l’un des obstacles importants à de nouvelles formes de solidarité en matière de logement se trouve dans la non-individualisation des droits sociaux. En cette matière, le Gouvernement fédéral dispose des leviers d’action et a déjà associé les Régions à certaines réflexions, qui pourraient aboutir utilement.
–    pour renforcer les efforts réalisés par les pouvoirs publics visant à amplifier le parc de logement public ou privé conventionné, il serait intéressant d’examiner les possibilités d’orientation des importants volumes de capitaux des fonds de pension publics, par exemple, vers ce type d’investissements à finalité sociale. A Bruxelles, j’ai pu récemment soutenir un partenariat innovant entre une agence immobilière sociale et un fonds d’investissement privé ayant permis, avec la garantie d’un rendement limité mais stable et garanti, le financement privé, la construction et la mise en location de logements conventionnés pour une période de 9 ans minimum. Dans le cadre d’une politique de placements à finalité sociale, il me semble que les fonds de pension publics pourraient être mobilisés dans ce sens.  ;
–    nous pourrions examiner conjointement la possibilité de mesures visant à accélérer les procédures en vue de comprimer le coût de la construction, notamment liées aux réglementations (marchés publics, procédures urbanistiques, etc.) ;
–    la consommation énergétique étant une composante croissante du coût du logement, il serait utile que nous nous penchions sur la façon de mieux conjuguer et si possible de renforcer les efforts des différentes autorités en cette matière (encadrement des prix de l’énergie, mécanismes de type tiers investisseur, prêts à taux réduits ou zéro, primes, normes énergétiques pour les constructions neuves, …) . Les secteurs concernés peuvent également être mobilisés à ce sujet ;
– l’association des secteurs de la construction, de l’immobilier et du secteur financier doit aussi permettre d’envisager des mesures éventuelles permettant d’encourager le marché privé à s’orienter vers la production de logements accessibles.

Ces propositions ne sont évidemment pas exhaustives et demandent à être consolidées. Elles viennent aussi s’ajouter aux initiatives déjà prises par les différentes entités dans ce domaine, notamment les Alliances Emploi-Environnement lancées en Wallonie et à Bruxelles. Elles illustrent que seule une action concertée entre les différents niveaux de pouvoir, combinée à une implication des acteurs privés, peut être à même de produire les résultats les plus significatifs.

Outre la dynamique sociale et durable qui en découlerait, cette conférence aurait entre autres comme fonction et conséquence de soutenir le secteur économique de la construction, vecteur d’emplois.  Avec 4,7 % du PIB et 5,9 % de l’emploi intérieur total, le secteur de la construction est un secteur essentiel.
Le secteur du logement durable pourrait, selon la Confédération de la construction, créer jusqu’à 20.000 emplois d’ici 2020, dont 13.000 rien que dans le bâtiment.
Vous l’aurez compris, cette proposition constitue une opportunité idéale pour à la fois améliorer le pouvoir d’achat des citoyens les plus exposés à la crise économique, soutenir un secteur économique créateur d’emploi et améliorer l’efficience écologique d’un secteur qui participe notamment de façon importante aux émissions de CO2 et à la pollution atmosphérique.

En vous remerciant de l’attention et du suivi que vous réserverez à ces réflexions qui se veulent volontaires et constructives, je vous prie d’agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de mes salutations distinguées.

Christos DOULKERIDIS