christosexpliqueBeaucoup a été dit sur le Traité européen (TSCG). Ceux qui l’ont promu le présentent comme un dogme inébranlable qui place la rigueur budgétaire au-dessus de tout avec le risque évident que ce soit au détriment de toute autre considération économique, sociale ou environnementale. Force est de constater que cette vision est très largement dominante. De l’autre côté, les syndicats, des associations, des citoyens revendiquent à juste titre une inversion radicale de la tendance actuelle. En tant qu’écologiste je suis clairement et de façon déterminée dans la deuxième catégorie. En tant que politique, il nous est revenu de choisir le meilleur moyen de non seulement refuser la vision prédominant lors de la signature du Traité et d’autres textes européens ou belges allant dans le même sens, mais aussi d’entamer si possible une inversion de cette tendance. Le texte qui suit explique ce qui a été obtenu après de très nombreux mois de négociation au sein de nos majorités mais aussi avec les autres entités du pays constituées de majorités différentes. C’est un texte complexe, à l’image des réalités où nous devons agir. Je vous invite néanmoins à prendre le temps de le lire.

La COCOF a été amenée à s’exprimer ce vendredi sur le processus de ratification du Traité européen (TSCG).  Le Traité budgétaire reprend pour une large partie des dispositions déjà applicables en vertu du droit européen dérivé, notamment le Pacte de Stabilité et de Croissance et l’ensemble de règlements et directive baptisé « Six Pack », et laisse pour le reste une grande marge d’interprétation aux différents Etats au moment de sa transposition.

Le Gouvernement francophone bruxellois que je préside a refusé d’approuver tel quel le traité qui lui a été soumis il y a quelques mois pour assentiment. Il a estimé indispensable de veiller à ce que sa transposition intègre les éléments suivants :

– mettre sur pied d’égalité les objectifs budgétaires et les objectifs sociaux et environnementaux de la stratégie EU2020;

– prévoir un mécanisme d’analyse (ex ante et ex post) de l’impact en terme social, environnemental et de genre des mesures du plan de correction par rapport aux engagements pris dans la stratégie EU2020;

– veiller à ce que le plan de correction s’appuie autant sur les dépenses que sur les recettes et préserve les mécanismes de solidarité prévus dans la sécurité sociale belge;

– permettre l’intégration d’investissements contra cycliques qui favorisent la transition écologique de la société;

– consulter les interlocuteurs sociaux sur les mesures du plan de correction;

– associer les Parlements à l’élaboration des mesures du plan de correction;

– s’engager à procéder à l’évaluation approfondie de l’ensemble du Traité

Notre Gouvernement, comme d’autres gouvernements progressistes où les écologistes sont présents, a donc d’abord complété le texte du Traité d’un exposé des motifs spécifique reprenant l’ensemble des lignes directrices énumérées plus haut.

Nous avons également estimé qu’il était de notre responsabilité de connaître, avant d’approuver le Traité, l’acte de transposition en droit belge, c’est-à-dire l’acte concret qui traduira dans notre droit le Traité. Plus encore, il était de notre responsabilité d’être acteur de son adoption. Pour être très clair : approuver le Traité sans savoir exactement comment il serait transposé, c’était perdre toute chance d’influer sur celle-ci.

Nous avons alors averti le niveau fédéral de cet indispensable lien et attendu de connaitre la proposition de texte de transposition transversal du Gouvernement fédéral.

C’est le 14 novembre dernier que le Ministre du Budget Chastel a présenté aux Entités un projet d’accord de coopération, que nous avons eu l’occasion d’examiner et surtout de négocier, avant son adoption en Comité de concertation le 29 novembre.

Sur les véhicules juridiques de transposition du traité.

Le Gouvernement fédéral a choisi la voie de l’Accord de coopération. Ce véhicule nous parait adapté puisque, plus que la loi spéciale, il laisse la possibilité aux Entités de s’exprimer, et de compléter ensuite par des règles propres, ce texte commun, qui se veut minimaliste. Ainsi, les exigences ou sensibilités des uns et des autres peuvent s’exprimer dans leur propre et seule Entité.

C’est ainsi que 5 entités (Wallonie, Fédération Wallonie-Bruxelles, Région de Bruxelles-capitale, Commission communautaire commune et Commission communautaire française), où sont présents au sein des gouvernements des écologistes, ont décidé de lier cet Accord à des règles budgétaires spécifiques. Certaines de ces règles ou modalités sont contenues dans l’Accord de coopération commun à l’ensemble des entités belges, d’autres se retrouveront dans les décrets budgétaires.

Que retrouve-t-on dans lAccord de coopération et en quoi améliore-t-il concrètement une application pure et dure du Traité initial ?

L’Accord transpose pour l’Etat fédéral, les Entités et les pouvoirs locaux, l’article 3 du Traité, qui met en œuvre la fameuse « règle d’or » établie par les Règlements dits du « Six-Pack » et du « Two pack ».

Il prévoit que c’est collectivement – et non chacune individuellement – que les entités du pays doivent atteindre l’objectif budgétaire à moyen terme ou respecter la trajectoire de convergence vers celui-ci définie dans le Programme de stabilité de la Belgique

Il indique qu’un écart temporaire par rapport à l’objectif à moyen terme ou par rapport à la trajectoire de convergence est possible, pour autant que l’on se situe dans des circonstances exceptionnelles, telles que définies dans l’Accord de coopération.  Il nous importait que la définition de ces circonstances exceptionnelles soit la plus ouverte possible.

Ensuite, l’Accord de coopération organise la coordination, la concertation et les modes de décisions en amont, entre les entités de notre Etat fédéral, nous permettant d’atteindre les objectifs qui nous lient. Il met donc en place une coordination des entités impliquant une solidarité possible entre elles pour atteindre l’objectif commun fixé pour la Belgique.  C’est un élément important.

Le mécanisme de coordination entre les entités porte, premièrement, sur la fixation des objectifs budgétaires : le Conseil supérieur des Finances est chargé d’établir un avis annuel préalable.

L’objectif budgétaire global est ensuite fixé, en concertation avec les différentes entités.  Cet élément est nouveau et important lui aussi, et a fait partie de nos revendications fortes par rapport au projet initialement présenté par le Gouvernement fédéral : vous le savez, les entités fédérées n’étaient pas, jusqu’ici, concertées par le Gouvernement fédéral, qui a toujours établi lui-même l’objectif global, qu’il convenait ensuite de se répartir.  Dans le contexte nouveau qui nous occupe avec le Traité, il était essentiel que les entités fédérées aient elles aussi leur mot à dire, sans empêcher le Gouvernement fédéral de prendre ses responsabilités si la concertation ne permet pas un consensus ou si le Gouvernement fédéral souhaite prendre à sa charge un effort supérieur à celui accepté par les autres entités, par exemple.

La répartition de cet objectif global entre les différents niveaux de pouvoir en termes nominaux et structurels, quant à elle, se fera après approbation par le Comité de concertation.

Pour les pouvoirs locaux, l’Accord de coopération prévoit que les Régions ne soient pas seules responsables si leurs communes ne sont pas en mesure d’atteindre leurs objectifs. Chacune des parties contractantes s’engage en effet à contribuer à prendre toutes les mesures nécessaires pour que les pouvoirs locaux respectent leurs objectifs.  C’est également un acquis essentiel, tant un certain nombre de politiques fédérales impliquent des charges nouvelles et non financées au niveau local.  Il ne pouvait se concevoir que le fédéral reporte sur les seules communes et régions le respect des contraintes budgétaires dans un contexte où il reporterait sur les pouvoirs locaux de nouvelles charges.  Le projet d’Accord de coopération a donc été aménagé dans ce sens, à la demande des entités fédérées.

Quant à la mise en œuvre de nos objectifs budgétaires, l’Accord de coopération confie son contrôle annuel a posteriori au Conseil supérieur des Finances (CSF).  Il sera chargé de vérifier le respect des engagements pris et de remettre un avis sur l’existence d’éventuelles circonstances exceptionnelles justifiant un écart temporaire à l’objectif de moyen terme ou à la trajectoire.

Si un écart est constaté dans le chef des pouvoirs locaux, le CSF devra chiffrer la part de cet écart découlant éventuellement de l’impact nouveau pour les pouvoirs locaux de mesures prises par le fédéral, et ne relevant dès lors pas de la responsabilité des Régions et Communautés.

Si, dans son rapport, le CSF constate qu’une des entités s’écarte de façon importante et non valablement justifiée par des circonstances exceptionnelles, le Traité impose la mise en œuvre immédiate d’un mécanisme de correction.  L’Accord de coopération prévoit par contre que ce mécanisme sera déclenché au départ du rapport d’évaluation produit par le Conseil supérieur des finances, qui émettra un avis sur l’ampleur des mesures de correction nécessaires et appréciera si les circonstances justifient une période supérieure à 18 mois pour remédier à l’écart constaté.   Le CSF assurera aussi le suivi de la mise en œuvre de ces éventuelles mesures de correction par la ou les entités concernées.

Ici aussi, il y a un élément à souligner : si nous nous soumettrons à lobligation de disposer dun mécanisme de correction pouvant être activé immédiatement après le constat dun écart important, lAccord de coopération nimposera cependant pas des mesures immédiates et brutales.  On intègre cet élément de temporisation : les entités disposeront dune période de 18 mois pour remédier à l’écart constaté, voire plus si le CSF estimait que la conjoncture le justifie.

Si au terme de ce processus, la Belgique se trouvait néanmoins en situation d’infraction par rapport à ces engagements et qu’une amende venait à lui être infligée par le Conseil de l’Union européenne, l’Accord de coopération organise sa répartition entre les entités.  Celle-ci se fera au prorata des manquements identifiés par le Conseil supérieur des finances.

Pour conclure sur le contenu de l’Accord de coopération : plusieurs entités, dont la COCOF, ont demandé qu’y soit ajouté un moment d’évaluation globale de l’application du Traité et de l’Accord de coopération.  Cela a été entendu et une évaluation de l’application du Traité et de l’accord de coopération par le CSF aura lieu au plus tard le 31 décembre 2017.

Enfin, une mesure découle du rôle primordial du CSF dans ce mécanisme : la composition de son secrétariat a été revue lors du dernier Comité de concertation afin d’y inclure des experts des Entités fédérées.  La Région de Bruxelles-Capitale y désignera deux experts, après concertation avec le Collège de la COCOF et le Collège réunion de la COCOM.

Quelles règles budgétaires supplémentaires ont été intégrées par les majorités « Olivier » et en quoi sont-elles différentes du contenu initial du Traité ?

Ces règles portent sur la façon dont nous mettrons en œuvre le Traité et l’accord de coopération en abordant de façon convergente – et non concurrente – les objectifs budgétaires, mais aussi sociaux, économiques et environnementaux découlant de nos engagements européens.  Elles portent aussi sur la façon dont nous souhaitons associer à cette mise en œuvre le Parlement et les partenaires sociaux, et dont nous souhaitons procéder à l’évaluation, au regard de tous ces objectifs, des éventuels plans de corrections qui s’imposeraient éventuellement, si la COCOF venait à s’écarter de ses engagements sans pouvoir, pour autant, se prévaloir de circonstances exceptionnelles le justifiant.

Il s’agissait d’abord de s’assurer que, dans la poursuite de ses objectifs et obligations budgétaires, la Commission communautaire française veillera à respecter les engagements pris dans les domaines économiques, sociaux et environnementaux et donne à ces objectifs une force semblable.

Afin que cette convergence des objectifs ne soit pas une simple déclaration d’intention, une évaluation annuelle du respect de ces objectifs est instituée. Elle devrait être exercée par l’Institut bruxellois de statistique et d’analyse. Les partenaires sociaux peuvent remettre, à ce stade, des avis d’initiative.

Sur la notion des circonstances exceptionnelles qui permettent de s’écarter de l’objectif à moyen terme ou de la trajectoire d’ajustement : elles sont définies comme « des faits inhabituels indépendants de la volonté de la Commission communautaire française et ayant des effets sensibles sur la situation financière des administrations publiques ou des périodes de grave récession économique, pour autant que l’écart temporaire ne mette pas en péril la durabilité budgétaire à moyen terme ».

La définition est suffisamment large pour que des écarts à la trajectoire restent possibles quand cela s’avère nécessaire et ce, dans le but d’éviter l’application de mesures budgétaires qui ne feraient qu’aggraver la récession économique et partant le déficit des finances publiques, ce qui serait contraire à l’objectif du Traité. Afin de garantir la soutenabilité budgétaire de la Commission communautaire française, il est par exemple nécessaire que le Collège, dans l’examen de l’existence de circonstances exceptionnelles, veille à permettre l’intégration d’investissements publics contracycliques en cas de récession.

Sur le mécanisme de correction : il implique que le lancement d’une procédure d’ajustement est automatique, mais non l’adoption de mesures préétablies, de sorte que les prérogatives du Parlement sont entièrement respectées.  La mise en œuvre d’un mécanisme de correction impliquera, nous l’avons souhaité, un plan de correction large, portant sur l’ensemble de nos objectifs et un ajustement budgétaire soumis au Parlement.

Le plan de correction, tant en recettes quen dépenses, pourra immuniser certaines dépenses et préserver des missions de services publics et capacité d’investissement dans les outils favorisant le développement durable de l’Entité.

Enfin, la Cocof, comme les autres Entités, a veillé à renforcer la qualité démocratique de cette procédure particulière, compte tenu de son caractère exceptionnel, en l’entourant d’une évaluation ex ante et ex post, ainsi que d’une consultation des partenaires sociaux.

Conclusion

Ce n’est un secret pour personne, le Traité initial a été rédigé avec une vision ultralibérale qui malheureusement est aujourd’hui très dominante au niveau européen. Cette vision est clairement contestée au sein des majorités où les écologistes siègent, notamment, avec le PS et le CDh. Compte tenu de l’adoption du Traité par l’ensemble des autres pays européens et du fait que des majorités alternatives existent en Belgique pour soutenir le Traité tel quel, l’option de le refuser purement et simplement n’offrait plus aucune garantie de résistance concrète et nous exposait de surcroit, malgré un vote contre, à une application la plus négative du Traité.

Nous avons donc choisi de construire d’abord un rapport de force politique, celui en place dans les majorités « olivier » présentes en Wallonie et à Bruxelles, et ensuite de chercher le meilleur moyen d’intégrer le Traité dans nos procédures démocratiques en cohérence avec nos valeurs politiques.

Et peu importe qu’on soit les derniers, le contenu qui résulte de nos réflexions communes est là, pour nous assurer de notre capacité de choix politiques et d’affectation de nos budgets pour protéger nos priorités sociales et environnementales notamment.

Mais plus encore, nous pensons qu’il y a un réel apport sur la convergence des objectifs, sur l’application et l’interprétation qu’il faudra donner à ce Traité si, par impossible, un mécanisme de correction devait être imposé à notre entité.

Nous avons ainsi veillé, au moyen des actes de transposition, à ce que l’adoption du Traité budgétaire ne se limite pas à la stricte règle d’or budgétaire, et avons plaidé pour une triple convergence garantissant à la fois le nécessaire et progressif assainissement des finances publiques tel que les entités fédérées s’y sont engagées ; la résorption de la dette sociale et la réduction de la dette écologique.

Dans la foulée, il nous revient de faire avancer également les bases d’une construction d’un véritable gouvernement économique européen, qui repose sur :

  • Un encadrement durable des budgets publics, une surveillance renforcée des développements macroéconomiques et une coordination contre-cyclique des politiques budgétaires ;
  • Une harmonisation fiscale (via par exemple une coopération renforcée) ;
  • Une régulation forte des marchés financiers ;
  • Des moyens propres renforcés pour l’Union européenne

Il s’agit également de poursuivre la stratégie UE 2020 dans les domaines de l’emploi, de la réduction de la pauvreté, de l’éducation, de la Recherche & Développement, de l’environnement et de l’énergie ; de permettre une intervention ferme de la BCE pour maintenir les taux d’intérêts des dettes publiques à des niveaux acceptables ; d’arrêter la politique de compétitivité salariale néfaste pour le pouvoir d’achat et la demande intérieure ; d’assouplir les plans de rigueur budgétaire et retarder le retour à l’équilibre dans les pays les plus touchés par la crise.

C’est dans ce sens, par exemple, que j’ai pris l’initiative, avec mes deux collègues en charge du logement en Wallonie (Jean-Marc Nollet) et en Flandre (Freya Vandenbossche), de réunir les Ministres européens du logement afin de réclamer ensemble, contre la tendance dominante actuelle, des mécanismes concrets d’investissements sur le long terme en faveur des politiques de logement.