phpVuhuNe

Voici l’échange que j’ai eu avec Alda Greoli, Ministre de la Culture, sur la politique de gratuité menée en Fédération Wallonie-Bruxelles. De ses réponses, on peut comprendre qu’elle n’y est pas très favorable et qu’elle manque d’informations sur le sujet. Elle oppose le travail qui doit être fait pour donner le « goût » à la culture à celui qui peut passer par un effort ciblé sur le « coût » de la culture. Pour ma part, les deux peuvent être utilement liés et complémentaires…

M.Christos Doulkeridis (Ecolo). – Une enquête réalisée en 2015 par l’Observatoire des politiques culturelles (OPC) a montré que deux tiers des musées pratiquaient une politique de gratuité régulière pour leurs expositions permanentes.

Ces politiques ont été mises en place notamment pour améliorer l’accessibilité culturelle, en réponse au constat selon lequel le coût d’entrée est le troisième obstacle aux pratiques culturelles, après le manque d’intérêt et de temps.

L’étude indique que la mesure de gratuité lors des premiers dimanches du mois est la plus répandue dans nos musées, à côté d’autres politiques de gratuité un peu moins courantes visant certains publics ou groupes cibles tels que les moins de 6 ans, de 12 ans ou de 18 ans, les groupes scolaires, les personnes handicapées, les journalistes, les enseignants.

L’enquête révèle également que la mesure de gratuité des premiers dimanches du mois, appliquée depuis trois ans, continue à diviser le secteur muséal. Si certains musées connaissent bien une hausse significative de fréquentation le premier dimanche du mois, d’autres soulignent un effet d’aubaine trop important et son manque d’impact sur le renouvellement des publics.

Le public habituel est surtout constitué de visiteurs de plus de 50 ans, aisés, déjà sensibilisés et «consommateurs» de musées.

Selon une étude de l’OPC de 2014, les mesures de gratuité seront efficaces et joueront un rôle de médiation si elle sont assorties d’autres initiatives pour élargir les publics, via notamment une promotion ciblée sur d’autres catégories, le renouvellement des expositions et le renforcement d’activités parallèles, telles que les animations organisées les dimanches «gratuits».

Ces dernières sont jugées particulièrement importantes pour favoriser l’accroche des publics socioéconomiquement défavorisés.

Autre facteur déterminant: le maintien dans le temps d’une promotion soignée, centrée sur les réseaux sociaux et les médias audiovisuels à l’échelle communautaire. Enfin, cette étude pointe l’importance de l’annonce de la gratuité via un affichage visible àl’entrée de chaque musée, par exemple, de l’appui des relais informatifs locaux, de l’intensification des partenariats avec les organismes de jeunesse, d’éducation permanente, artistiques, mais aussi avec les écoles, etc., en vue du développement d’actions conjointes. Il ne suffit pas de travailler sur le coût de la culture, il faut aussi travailler sur le goût pour la culture.

La combinaison des deux éléments pourrait se révéler beaucoup plus efficace. Que pensez-vous des mesures de gratuité financière dans les musées, en général et, de ma-nière plus spécifique, les premiers dimanches du mois? Quel bilan tirez-vous aujourd’hui de chacune d’entre elles, notamment quant à leur impact sur les publics cibles? Observez-vous une avancée à cet égard? Avez-vous récemment rencontré le secteur muséal pour aborder ces questions? Se montre-t-il toujours divisé à l’égard de l’intérêt et de l’impact des politiques de gratuité? Quelle ana-lyse avez-vous faite des partenariats existant entre les musées et les écoles, mais aussi avec les organisations de jeunesse, d’éducation permanente, artistiques, etc.?

Pourriez-vous nous préciser sous quelle forme ces partenariats sont élaborés et à quels publics ils s’adressent? Disposez-vous de données permettant d’estimer l’impact des partenariats existants sur le public qui fréquente les musées concernés ainsi que l’impact promotionnel de l’élaboration du site internet de l’ASBL Arts et Publics, en termes tant de taux de fréquentation des musées que de renouvellement des publics?

Mme Alda Greoli, vice-présidente et ministre de la Culture et de l’Enfance. –Vos questions appellent plusieurs arguments et certaines nuances. Vous mentionnez un monde muséal divisé entre les partisans de la mesure et ses opposants. Il est difficile d’estimer la proportion de partisans et d’opposants. Je signalerai toutefois que la plupart des échos qui parviennent à mon administration mentionnent le phénomène d’effet d’aubaine engendré par la mesure: un public déjà acquis à la pratique muséale – donc au principe de payer son entrée – déplacera son jour de visite au premier dimanche du mois.

Ce phénomène n’a donc aucun impact direct sur l’accessibilité accrue et se traduit simplement par une perte sèche pour le musée. Afin de juger de la pertinence de cet argument, il faudrait, pour chaque opérateur reconnu, comparer les chiffres annuels globaux de fréquentation pour plusieurs années sans la gratuité avec les chiffres de fréquentation annuels de plusieurs années avec la gratuité. Cette étude n’a pas encore pu être réalisée.

Ce phénomène d’effet d’aubaine a été mis en évidence. C’est pourquoi, à l’instauration de l’obligation décrétale, il avait été décidé d’accorder une compensation financière aux institutions muséales. Faute de moyens budgétaires, cette compensation a été supprimée en 2011, renforçant de facto le nombre des opposants.

Les sondages des visiteurs, corroborés par les données liées aux pratiques culturelles en Belgique et en Europe, font apparaître que l’obstacle du prix n’arrive qu’en troisième position, après le manque d’intérêt et le manque de temps.

La politique tarifaire pratiquée par les musées reconnus est particulièrement modérée: entre 3 et 7 euros pour les prix pleins, avec de nombreuses possibilités de réduction. Si l’on prend l’exemple du public scolaire, par définition un public hors dimanche, on s’aperçoit que, grâce à une politique de tarifs très réduits, voire de gratuité, l’obstacle du prix d’entrée est anecdotique par rapport au coût bien plus réel du transport. Il convient d’ailleurs de signaler que la Fédération continue d’accorder des compensations financières aux treize musées qui appliquent la circulaire relative à la gratuité scolaire.

Tous ces éléments m’amènent à penser que les politiques de gratuité dans nos musées, même si elles sont louables dans leurs intentions, n’ont pas permis de remplir leur objectif premier: attirer un public peu coutumier du public muséal dans nos institutions.

Pour les publics précarisés, pour lesquels la question du prix est donc vraiment importante, une mesure comme l’article 27 s’autosuffit. Le travail à mener doit donc se situer à un autre niveau, notamment en intégrant davantage des programmes culturels dans les programmes scolaires.

Je travaille à cette question avec Mme Schyns. Concernant les mesures de gratuité telles qu’elles sont actuellement pratiquées, la voie est donc ouverte à leur révision. Une réflexion est actuellement en cours.

Vous mettez également en exergue, et à juste titre, l’importance de la médiation culturelle. Dans leurs rapports d’activités, tous les musées, sans exception, mettent en corrélation l’augmentation de la fréquentation et l’organisation de visites guidées, de concerts, de conférences, de muséo-mixages, d’activités de contes, etc., et cela, nonobstant la question de la gratuité.

Ces activités sont régulièrement évaluées lors des concertations des musées, que ce soit dans le cadre de Musée et société en Wallonie (MSW) ou du Conseil bruxellois des musées. Il n’existe pas d’inventaire centralisé des partenariats noués entre le secteur muséal et celui de l’éducation permanente ou du monde associatif en général.

Les rapports d’activités des musées mentionnent tous de tels partenariats, qui se caractérisent par une volonté d’aborder un public fragilisé, peu acquis aux pratiques muséales. On y retrouve un travail continu avec les CPAS, les grands mouvements d’éducation permanente, les associations de seniors, les comités de quartier, les maisons de jeunes, les maisons de la culture, les initiatives croisées entre musées et centres culturels, etc. Ils se caractérisent par une forte mobilisation des ressources humaines et financières des musées, alors qu’ils touchent un public restreint. Nul ne peut contester leur importance.

Les modalités de médiation culturelle sont variées, créatives, sans cesse renouvelées. Il en résulte que l’accroissement qualitatif et quantitatif des publics est le fruit de très multiples initiatives. Il serait donc vain de trouver une corrélation pertinente entre l’activité d’une seule ASBL, telle que Arts et Publics, et l’accroissement des publics, enjeu essentiel de tous nos musées.

M.Christos Doulkeridis (Ecolo). – Je ne suis pas étonné que la plupart des échos qui nous parviennent des musées soulignent l’effet d’aubaine. Mais c’est davantage un révélateur. Je ne pense pas que la gratuité, à elle seule, suffise à atteindre son objectif, à savoir permettre à un public inhabituel de pousser la porte des musées. L’objectif est d’attirer de nouveaux publics dans ces lieux d’art et de culture.

Le moyen peut être la gratuité, mais il ne peut être isolé. Dès que l’on se contente d’un procédé unique, on tombe dans les effets d’aubaine. On ne peut évaluer la mesure et apprécier son efficacité si tous les musées ne l’appliquent pas.

Je vous mets en garde contre une lecture trop rapide de l’évaluation de la gratuité. Il ne faut pas conclure trop vite que l’on touche les mêmes publics, alors que l’on n’a pas libéré suffisamment de moyens pour les autres mesures et outils destinés à accompagner la gratuité. L’exemple des étudiants que vous avez cité est pertinent. Les programmes qui les amènent dans les musées doivent avoir lieu durant les heures scolaires. Après les avoir sensibilisés, il faut que rien ne s’oppose à ce qu’ils puissent s’y rendre à un autre moment.

Généraliser un moment unique, par exemple le dimanche, qui facilite en outre une diffusion plus large de l’information, permet d’atteindre cet objectif. Il existe, dans des pays voisins, des études sur l’éventuel effet d’aubaine. Elles montrent que la mesure est plus efficace lorsqu’elle est accompagnée par d’autres outils convergents quant à l’objectif d’élargir les publics. Je vous invite à en prendre connaissance.

Les acteurs les plus efficaces sont ceux qui diversifient eux-mêmes leur stratégie afin d’atteindre divers publics. Bozar est un excellent exemple car l’institution multiplie les initiatives et les offres culturelles. Elle touche ainsi des publics très variés et réussit à faire passer la porte de ce temple, auparavant réservé à une certaine élite ou, du moins, à un public ayant les moyens de s’y intéresser.