Ce lundi, j’interrogeais la Ministre Greoli sur la place et la qualité de l’emploi artistique dans les secteurs relevant de ses compétences. Un séminaire sur la question a été organisé au début du mois par la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) et l’Union des artistes afin de donner la parole aux artistes, premiers concernés et impactés par les politiques menées par la Ministre. Dans un second temps, les conclusions d’une analyse juridique du projet de décret de Mme Greoli ont été présentées suivies des recommandations générales du secteur. Ces conclusions soulignaient de manière pertinente le manque de solidité des définitions prévues dans le projet de décret et le flou pour avancer vers une consolidation et un renforcement de l’emploi artistique, comme la Ministre le présentait. Enfin, une étude a été réalisée sur l’incidence des décisions prises dans le cadre des contrats-programmes arts de la scène où à aucun moment, le critère de l’emploi artistique n’a été prioritaire sur les autres ni dans les avis rendus par les instances ni dans la décision finale de la Ministre, ce qui est très éloigné de son désormais bien connu – mais peu respecté – slogan « l’artiste au centre ». Ce lundi en commission, la Ministre Greoli a simplement critiqué le mémorandum de la SACD et de l’Union des artistes. Il aurait été à mon sens plus judicieux et nécessaire de confronter les conclusions émises par le secteur au travail effectué au sein du gouvernement pour une amélioration du dispositif. J’ai en ce sens appuyé la demande d’audition de la SACD et de l’Union des artistes afin qu’ils puissent être entendus en commission, qu’un réel échange concret et argumenté puisse avoir lieu avec la Ministre Greoli et surtout que leurs revendications puissent être prises en considération dans le libellé des contrats-programmes qui est actuellement en cours de rédaction.
Ci-dessous : l »intégralité de mon échange avec la Ministre Greoli de ce 19 février 2018 :
M. Christos Doulkeridis (Ecolo). – Madame la Ministre, ce n’est pas la première fois que je vous interroge à ce sujet, mais j’ai le sentiment que de nouveaux rebondissements surviennent chaque semaine. En outre, vos réponses font elles-mêmes l’objet si non de recadrages, de précisions de la part d’acteurs du secteur. Il me semble vraiment important de confronter ces différentes informations. Par ailleurs, je regrette que la conférence des présidents n’ait pas relayé la demande de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) et de l’Union des artistes de pouvoir être entendues au sein de cette commission. Dès lors, Monsieur le Président, je me permets de soutenir la demande d’audition de la SACD et de l’Union des artistes, telle qu’elle sera visiblement abordée prochainement en conférence des présidents.
Le 5 février dernier, la SACD et l’Union des artistes ont organisé un séminaire relatif à la place de l’emploi dans les nouveaux contrats-programmes. Je vous ai interrogée à de nombreuses reprises sur ce sujet, Madame la Ministre, car votre volonté annoncée est de replacer les «artistes au centre». Par ailleurs, cette volonté fut également la ligne de force de votre réforme du décret relatif aux arts de la scène.
Malgré tous les apaisements que vous avez tenté de nous donner lors d’interpellations précédentes, je dois avouer que ce séminaire fut pour moi source de nombreux étonnements. Étonnement d’abord de ne pas vous y voir, ni aucun de vos représentants, alors que l’événement était clairement adressé au monde politique et donc forcément à la ministre compétente.
Étonnement ensuite de constater que la SACD, pourtant dotée de moyens limités en comparaison avec ceux de l’administration, a pu établir un cadastre de l’emploi artistique dans le secteur des arts de la scène, alors que nous attendons depuis des années celui du gouvernement. Vous vous rappellerez que je vous ai interrogée à ce sujet lors de la précédente réunion de commission. Vous m’aviez répondu que le travail avait effectivement été entamé en 2003, mais qu’il n’avait toujours pas été conclu.
Étonnement enfin face aux chiffres et aux nombreux témoignages qui attestent une fois encore de la rareté et de la précarité des emplois artistiques dans notre Fédération. L’étude réalisée par la SACD tend à démontrer que, malgré les engagements qui ont été pris, l’emploi artistique n’est malheureusement ni au centre de la réforme telle qu’elle a été adoptée sous votre impulsion ni l’élément clé qui a prévalu lors du choix des contrats-programmes que vous avez réalisé.
Il me semble extrêmement important d’entendre votre réaction au diagnostic posé par la SACD et par l’Union des artistes. Ce sont les premiers concernés par les objectifs de votre politique et par les engagements que vous avez pris. Il est important de pouvoir leur répondre avec des données chiffrées et de leur donner l’opportunité de vous écouter. Ils pointent encore la nécessité d’être attentifs aux contrats-programmes tels que vous les conclurez avec les différentes structures qui en bénéficieront et de vérifier comment ils seront libellés pour laisser la place la plus importante au soutien de l’emploi artistique, avec des garanties en termes de résultat.
Lors de ma dernière interpellation, vous nous faisiez part d’une augmentation du budget de l’aide à la création pour le public théâtre adulte. Je vous en félicitais. Toutefois, en relayant cette information, on m’a répondu que ce serait au détriment de l’aide à la création qui existe déjà pour d’autres secteurs des arts de la scène. Comment évoluent les disciplines des arts de la scène en termes de soutien à la création?
Mme Alda Greoli, ministre de la Culture. – Dans mes fréquents échanges avec la SACD depuis le début de la législature, et plus encore depuis ce mois de décembre, suite au Manifeste pour l’emploi artistique lancé à leur initiative, j’ai rappelé à cette association que je partageais ses objectifs de défense, de valorisation et d’augmentation de l’emploi artistique et que je souhaitais poursuivre un dialogue constructif avec elle sur la base de propositions concrètes plutôt qu’à partir de positions de principes.
Afin de développer ces propositions, la SACD a organisé en collaboration avec l’Union des artistes une rencontre à la Bellone ce 5 février 2018 sur le thème de l’emploi artistique. Je m’en suis réjouie. Leurs recommandations m’ont été transmises en date du 6 février 2018. Elles portent sur une révision du décret des arts de la scène qui vient d’être adopté afin, notamment, de prévoir au sein des contrats-programmes des quotas d’emplois artistiques excluant les techniciens et identiques pour tous les opérateurs, d’y insérer et d’y définir une «nouvelle unité d’emplois qui se-rait basée sur un temps de travail et une rémunération minimum du niveau professionnel».Elles portent enfin sur l’établissement par décret d’un cadastre de l’emploi artistique.
Dans la réponse qui leur a été adressée, je leur ai fait part de mon regret que leurs propositions «ne prennent nullement en compte la diversité des activités développées et des métiers exercés dans le secteur et visés par le décret et, par ail-leurs, mobilisent des termes flous tels que des rémunérations correctes, des promesses d’emploi, du temps de travail minimum». Ils fixent des pourcentages de manière arbitraire et ne prennent pas en compte le nécessaire recul pour analyser les effets que les nouvelles mesures en application depuis cette année pourront avoir sur la qualité et l’emploi artistique.
Je leur ai également fait observer que le législateur n’a pas jugé pertinent de fixer des quotas d’emplois dans le décret des arts de la scène récemment revu au terme de plusieurs années de réflexion et de concertation, notamment avec leur association, mais également avec l’ensemble des parties prenantes.
Quant à la rédaction des contrats-programmes, il leur a été rappelé qu’en application de ce nouveau décret, tant la qualité que la quantité d’emplois artistiques, exprimées en pourcentage des dépenses budgétaires et en volume d’équivalents temps plein,pourront enfin être mesurées de façon objective et harmonisée à partir des données à communiquer obligatoirement au moment de la demande de soutien et lors des rap-ports d’activité qui seront soumis au cours des cinq années à venir.
La question du cadastre est bien réglementée par un décret en Communauté française. Le cadastre de l’emploi non-marchand a été abordé lors de la dernière commission, je ne vais donc pas y revenir, mais j’attire votre attention sur le fait que les chiffres analysés par la SACD sont loin de constituer le cadastre de l’emploi artistique qu’il est si difficile de réaliser. Il s’agit en effet uniquement des données de l’Office national de sécurité sociale (ONSS) qui concernent les seuls employés et qui font donc l’impasse sur une des principales caractéristiques du travail artistique à savoir la multiplicité des modes de rémunération, des relations contractuelles et des statuts.
Enfin, concernant les budgets des aides à la création, le principe exposé pour le domaine du théâtre vaut bien entendu pour les autres domaines des arts de la scène. Les montants attribués en aide aux projets de type pluriannuel et aux aides exceptionnelles dites «phasing-out» sont bien des budgets complémentaires qui viennent donc s’additionner aux crédits disponibles pour les aides aux projets dans chacun des domaines. Il n’y a donc eu ni diminution ni vases communicants.
M. Christos Doulkeridis (Ecolo). – Vous dites qu’il n’y a pas de vases communicants. Nous assisterons donc à une augmentation nette de l’aide à la création, en tout cas pour le théâtre adulte, les autres budgets restant, j’imagine, au niveau où ils se trouvaient.
J’en viens à vos critiques du mémorandum de la SACD et de l’Union des artistes. L’après-midi de travail de la Bellone s’est déroulé en trois étapes. La première étape consistait à donner la parole à des artistes, qui ont apporté leur témoignage. La deuxième présentait une étude juridique de votre projet de décret tel qu’il a été modifié, qui a été discuté et adopté par ce Parlement il y a quelques mois. Cette étude juridique montrait de manière assez pertinente que les définitions prévues dans votre projet de décret n’étaient pas suffisamment solides pour faire en sorte d’avancer, comme vous le présentiez, vers une consolidation et un renforcement de l’emploi artistique. Elle soulignait le flou qui existait dans le décret, permettant d’échapper à une logique plus contraignante ou plus concrète de cette évolution de l’emploi artistique.
Il appartient aux membres de ce secteur de se donner les moyens de critiquer, de manière argumentée, le travail politique qui est effectué par vous-même et au sein du Parlement. J’entends bien les critiques que vous émettez par rapport à leurs contre-propositions. Toutefois, je tiens à préciser qu’ils ne les ont pas présentées comme si elles étaient à prendre ou à laisser. Ils ont, au préalable, réalisé une étude de votre propre décret ainsi qu’une étude de l’incidence dans le cadre des contrats programmes où le critère de la création ou du soutien à l’emploi artistique n’est pas du tout isolé. Les avis rendus par les instances reprennent le soutien à la création de l’emploi comme un critère parmi d’autres. À aucun moment il n’a été question que ce critère apparaisse comme plus important que les autres.
La troisième étape de cet après-midi de travail à la Bellone consistait à émettre des propositions et, essentiellement, un appel politique pour que nous puissions, les groupes politiques et le gouvernement, travailler sur une amélioration du dispositif.
J’entends bien les premières réponses que vous pouvez donner et le regard critique que vous apportez à leurs recommandations. Je ne prends pas non plus pour argent comptant ce qu’ils proposent, mais leur point de vue est important et il est nécessaire de le confronter au travail effectué. Je me réjouis de pouvoir les entendre ici en commission et d’entendre votre réaction et vos réponses concrètes et argumentées.